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à la population de chaque canton ; une seule ville devait être désignée pour recevoir le gouvernement fédéral, et cette ville devait être celle de Lucerne, un directoire de cinq membres, élus par la diète, devait exercer le pouvoir exécutif. Malheureusement ce projet échoua par la rivalité des grandes villes cantonales, qui prétendaient toutes posséder le gouvernement de la confédération et ne pouvaient consentir à se laisser imposer Lucerne pour capitale.

Cet essai de conciliation ayant échoué, la Suisse tomba pendant dix ans dans une véritable anarchie. La plupart des cantons devinrent des foyers de révolutions perpétuelles. Radicaux et conservateurs se livrèrent une lutte acharnée à Zurich, à Argovie, à Genève, où fut renversée l’aristocratie protestante, dans le Valais, où les protestans et les catholiques se firent longtemps une guerre sanglante. Les questions religieuses se mêlèrent aux questions politiques ; les radicaux procédèrent, partout où ils devinrent les maîtres, à la sécularisation des couvens et à l’expulsion des jésuites, qui possédaient, comme on le sait, de vastes établissemens à Lucerne, à Fribourg et à Brigg. Dans le canton de Vaud, la passion du parti radical se déchaîna même contre les pasteurs protestans, qui furent destitués de leurs chaires pour avoir refusé de reconnaître la nouvelle constitution du canton.

C’est du milieu de ce désordre que sortit la fameuse ligue du Sonderbund. Les sept cantons conservateurs de Lucerne, Schwytz, Uri, Unterwalden (Obwald et Niedwald), Fribourg, Zug et le Valais formèrent, au mépris de la constitution, une ligue politique et militaire contre les cantons démocratiques. De leur côté, des corps francs s’organisèrent sous le commandement de M. Ochsenbein, et la guerre civile commença. Tandis que le Sonderbund rassemblait ses forces et résistait aux premières attaques des corps francs, les radicaux révolutionnaient Genève et Bâle. La majorité se balançait dans la diète entre les deux partis, et cette incertitude mettait le gouvernement fédéral dans l’impossibilité d’intervenir. Enfin, la direction des affaires fédérales ayant passé au canton de Berne, la diète, rassemblée dans cette ville et présidée par Ochsenbein, finit par prendre parti contre l’insurrection. Une majorité composée de douze états et de deux demi-états se prononça contre le Sonderbund, et le déclara dissous. En même temps la diète décréta l’expulsion des jésuites, mesure inconstitutionnelle contre laquelle les sept cantons protestèrent. La diète résolut de réduire leur résistance par les armes, et le général Dufour, à la tête de 50,000 hommes, occupa les cantons de Fribourg et de Lucerne. C’en était fait cette fois de la constitution de 1815.

La victoire du parti radical fut signalée par de grands désordres.