Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/762

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvait pas amender leur ouvrage ; il ne pouvait que l’accepter ou le repousser en bloc, et ce mélange de questions diverses a donné lieu à des mélanges d’opinions tout à fait inattendus. Les alliances des partis ont varié d’un canton à l’autre, suivant les intérêts et les passions des localités. Ici les conservateurs ont voté pour la révision ; là au contraire ils l’ont combattue. Ici les radicaux ont repoussé les propositions du gouvernement fédéral comme insuffisantes ; ailleurs ils les ont accueillies comme un premier pas dans une voie où ils espéraient s’engager plus avant. Les révisionistes ont trouvé un appui chez les membres des grandes compagnies financières, dans le parti des barons, comme on les appelle à Berne, et dans les nombreux intérêts qui se groupent autour de ce parti. Les anti-révisionistes et les partisans de l’autonomie cantonale ont été soutenus de leur côté par les cléricaux de toutes les confessions, catholiques ou protestans arriérés, opposés au mariage civil ou à la proclamation de la liberté de conscience, par les bourgeoisies municipales jalouses de leurs privilèges, enfin par les socialistes affiliés à l’Internationale, qui forment en Suisse un parti nombreux, et qui ont rejeté la révision afin de la refaire eux-mêmes dans un sens plus radical. Voilà la coalition fragile qui a donné la victoire au parti conservateur. Il est évident que cette coalition ne saurait longtemps se maintenir, et qu’elle se dissoudra d’elle-même aussitôt qu’un nouveau projet mieux conçu aura remis chaque question à sa place et rendu à chaque opinion sa liberté.

On ne saurait donc tirer de conclusion décisive de l’échec éprouvé l’année dernière par le projet de révision. Le plébiscite ou, comme on dit en Suisse, la votation du 12 mai s’est faite, à certains égards, au milieu de la plus grande confusion. Beaucoup de citoyens ont repoussé la révision dans son ensemble, parce qu’ils ne pouvaient pas en distraire telle ou telle mesure qui blessait spécialement leurs intérêts ou leurs convictions. Beaucoup d’autres l’ont votée sans y tenir, par crainte de s’opposer inutilement à des changemens inévitables, et de troubler la paix publique sans pouvoir rien arrêter. S’ils l’avaient emporté, ils auraient été bien embarrassés de leur victoire, et ils ont dû éprouver une secrète satisfaction de leur défaite. D’autre part, la majorité obtenue contre le dernier projet de révision a été trop minime pour qu’on puisse se flatter de la retrouver encore. Déjà les élections législatives ont montré les progrès faits dans l’opinion par l’idée révisioniste, et elles ont prouvé que le vote du 12 mai dernier était plutôt un malentendu qu’une fin de non-recevoir irrévocable. A vrai dire, la réforme de la constitution fédérale s’était présentée l’année dernière sous la forme d’une intrigue de parti, et l’on avait employé, pour la