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PHILIPPE

 
I.

Par une belle soirée du mois de mai, lorsqu’il faisait jour encore et que les oiseaux chantaient dans les arbres du jardin, Mme d’Hesy, un livre à la main, était assise près d’un guéridon, dans un élégant salon du rez-de-chaussée de son hôtel. C’était une femme d’une soixantaine d’années, d’une physionomie réfléchie, intelligente et douce. De jolis cheveux blancs en bandeaux encadraient son visage ; des chairs pleines, d’un ton mat, avec de légères rides, attestaient une existence matériellement tranquille, que les soucis et les chagrins avaient cependant visitée. Les yeux, d’un bleu pâle, presque effacé, étaient d’une mélancolie souriante ; les lèvres, larges, avaient une exquise bonté. Mme d’Hesy rêvait alors plutôt qu’elle ne lisait. Elle regardait par instans avec une sorte de joie intérieure et calme le paysage en miniature qui s’étendait à ses pieds, tout resplendissant de fleurs, tout embaumé de parfums. Si ses chagrins avaient été vifs au point de laisser des traces ineffaçables, ils étaient assurément loin derrière elle, et de sereines jouissances les avaient remplacés. En ce moment-là, peut-être sans en avoir conscience, elle songeait à ce passé disparu dont il n’était plus à craindre que les douleurs endormies se réveillassent jamais.

L’obscurité venant avec la fraîcheur du soir, Mme d’Hesy posa son livre sur la table, et regarda la pendule : — Déjà neuf heures ! dit-elle.

Elle sonna ; un domestique parut.

— Est-ce que ma fille n’est pas rentrée ? demanda-t-elle.

— Mademoiselle rentre à l’instant, et va se rendre près de madame.

Mme d’Hesy arriva en effet presque aussitôt. À trente ans passés, elle était dans tout l’éclat d’une beauté splendide et pure. Ses