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wein expire sous les yeux de son protecteur pendant qu’au loin on entend la princesse chanter une gaie chanson. Dans la manière dont l’action se noue et se dénoue, rien d’artificiel ni d’invraisemblable, si ce n’est peut-être l’amour soudain de Roswein pour la princesse, amour qui naît d’un regard fatal ; mais ces coups de foudre ne sont pas sans exemple. Tout se déroule donc avec la logique imperturbable des situations vraies qui résultent du conflit des passions humaines, et la fin tragique des deux êtres faibles que le destin doit broyer sous les roues de son char est déjà contenue dans les complications qui se produisent au début de l’action.

C’est ici toutefois que l’interprétation des rôles peut compromettre la logique intérieure de l’action dramatique. Ce jeune maestro, qui s’évanouit presque en se trouvant pour la première fois en présence de Léonora, c’est évidemment un être frêle, nerveux, délicat. M. Febvre n’a guère le physique de l’emploi : carré des épaules, avec ses traits énergiques et sa voix fortement timbrée, ce n’est pas sans une certaine incrédulité qu’on le voit se pâmer d’émotion devant la grande dame à laquelle il rapporte son mouchoir. Cette disparate fait sentir davantage ce qu’il y a d’un peu suranné dans les regrets que semble appeler la précoce stérilité de ce génie musical ; on se refuse à verser des larmes sur les chansons avortées de ce robuste jeune homme et sur ses opéras restés dans les limbes. On en a tant fait !

Mlle Sarah Bernhardt, qui a cru pouvoir aborder le rôle de Dalila après Mlle Fargueil et Mlle Favart, n’a trouvé ni les accens âpres, mordans, métalliques, de la première, ni les éclats de passion de la seconde ; elle est restée la plupart du temps au-dessous de sa tâche. C’est une personne frêle, gracieuse, élégante, qui nous charme dans les rôles tendres et qui sait lancer une impertinence à ravir ; mais ses moyens la trahissent lorsqu’il s’agit d’exprimer l’énergie d’une passion. Ce débit sec, dur, martelé, parfois affecté, ne trahit pas la férocité féline de la femme qui, assouvie et indifférente, déchire sa victime en la caressant ; c’est quelque chose de moins terrible : du dépit, de l’ennui, une impatience qui ne prend plus la peine de se déguiser. Dans la scène où Dalila joue à son niais maestro la comédie du repentir, on ne sent peut-être pas assez que ces tirades n’ont d’autre but que de l’empêcher de quitter la princesse le premier. Mlle Bernhardt, qui en somme ne manque pas de talent, réussirait peut-être à se faire accepter dans ce rôle difficile, si elle se décidait à le jouer avec beaucoup plus de simplicité, sans cette raideur affectée et sans forcer la voix à tout propos.

Mlle Croizette, qui a quelque peine pour nous représenter une blonde fille du nord, s’est tirée à son honneur du rôle de Marthe. M. Maubant, dans le rôle de Sertorius, a bien su rendre la bonhomie sereine du vieil artiste, que Lafontaine en 1870 faisait trop génial (après avoir créé en 1857 le rôle de Boswein) ; cependant on pouvait le trouver un peu