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est deux fois illustre dans les lettres, dans les études historiques. M. Amédée Thierry, qui vient de mourir, était par la sûreté de sa science, par l’éclat de son talent, le digne émule de son frère Augustin Thierry. Ses études sur les Gaulois, sur Attila, sur saint Jérôme n’étaient pas seulement des œuvres d’une érudition exacte et profonde, elles avaient la couleur et la vie. Nul mieux que M. Amédée Thierry n’a su ranimer le passé ; il était de la race des grands historiens, et son talent a trop souvent illustré ces pages pour qu’on oublie de longtemps et cette postérité de belles œuvres et le vide qu’il laisse parmi nous. Les malheurs du pays l’avaient profondément atteint dans ces dernières années, et il est mort vaincu par les événemens encore plus que par l’âge, quoique ayant gardé jusqu’au bout toute la vigueur de l’esprit. M. Caro s’est chargé, au nom de la Revue, de lui payer sur sa tombe l’hommage d’un souvenir fidèle. Les hommes comme M. Amédée Thierry ne se remplacent pas aisément dans les lettres. C’est aux jeunes esprits de la France nouvelle de recueillir ces traditions de travail et de forte science.

L’Autriche parlementaire est absorbée dans la réforme électorale qu’elle vient d’entreprendre. C’était un des points essentiels de la politique du cabinet cisleithan présidé par le prince Auersperg. Il s’agissait de substituer le régime de l’électorat direct au régime de l’élection des membres du Reichsrath par les diètes provinciales. Sans doute, même dans le projet ministériel, ce n’était pas encore l’élection toute simple par circonscription et selon le chiffre de la population, c’était l’élection par groupes d’intérêts, par villes, par corporations. Telle qu’elle était, cette réforme ne laissait pas de soulever des difficultés assez graves. Le ministère Auersperg n’avait pas seulement à se débattre avec la Bohême et d’autres provinces retranchées depuis longtemps dans une abstention invariable ; il avait à se concilier les Polonais, il a longuement négocié avec eux, il a même appelé à Vienne le lieutenant de l’empereur en Galicie, le comte Goluchowski, pour suivre ces négociations. On faisait luire aux yeux des Polonais toute sorte de garanties pour leur autonomie, pour leur nationalité ; on leur demandait tout au moins de ne pas quitter le Reichsrath, car on craignait que la réforme électorale n’échouât faute d’un nombre suffisant de votans. Les Polonais, sans admettre le système de l’élection directe, dans lequel ils voient un moyen de prépondérance pour le centralisme allemand et une menace pour eux en Galicie, les Polonais ne se montraient pas cependant intraitables, ils voulaient seulement qu’on ne se bornât pas à des promesses, que le ministère s’engageât au sujet de leurs franchises. On n’a pas pu s’entendre, puisqu’au dernier moment les Polonais se sont retirés du Reichsrath sans vouloir prendre part à la discussion et au vote de la loi électorale. La réforme n’a pas moins été votée. Il reste cependant à savoir ce que deviendra ce régime, nouveau appliqué à des provinces résistantes, accoutumées depuis longtemps à une vraie sécession, imbues