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persévérance du gouvernement dans une œuvre de patriotisme supérieure à tous les intérêts de partis. C’est la marque de ce qu’il y a toujours de vivace dans ce pays si cruellement frappé. Qu’on mesure un instant en effet le chemin parcouru depuis nos derniers désastres, qu’on embrasse d’un regard la situation qui existait, il y a deux ans, à pareille date, et cette autre situation dont le traité du 15 mars est la rassurante et saisissante expression. Il n’y a là ni forfanterie ni excès d’illusion, c’est un fait éclatant devant lequel les étrangers eux-mêmes ne laissent pas de s’arrêter avec quelque surprise. Au sortir de la guerre étrangère et de la guerre civile, la France était évidemment arrivée à une de ces extrémités où l’on se demande si une nation aura un lendemain, si elle pourra se relever. Elle n’a point désespéré d’elle-même, elle a courageusement accepté tous les sacrifices comme toutes les obligations. Le gouvernement sorti d’une si effroyable crise n’a pas plus désespéré que la nation, et en deux ans la France est parvenue à reprendre un certain équilibre, à se faire estimer des peuples, à reconquérir son crédit ; en deux ans, elle aura payé cinq milliards d’indemnité à l’Allemagne, elle aura eu au moins cinq autres milliards engloutis dans la guerre, et en définitive elle aura fait face à tout sans manquer à un seul de ses engagemens, sans laisser souffrir ses services intérieurs, sans être sérieusement exposée à des crises monétaires ou industrielles, sans que la première de ses valeurs fiduciaires, le billet de banque, ait subi la plus légère dépréciation. La France aura traversé ces épreuves sans fléchir, et elle touche aujourd’hui au moment où elle va retrouver la plénitude de son indépendance, la liberté complète de son territoire !

Certes le passé garde sa grandeur, et M. le duc de Richelieu a mérité de rester dans notre histoire comme le type du patriotisme le plus élevé pour s’être dévoué à la restauration de l’influence française, pour avoir réussi à mettre fin en 1818 à une occupation étrangère, après avoir eu le courage en 1815 de souscrire, la mort dans l’âme, à la paix la plus cruelle. Qu’on l’observe bien cependant, non pour diminuer l’honneur de M. de Richelieu, mais pour rester juste envers notre temps : les désastres de 1870 et de 1871 ont incomparablement dépassé de toute façon les désastres de 1815. L’indemnité infligée à la France au lendemain de la dernière guerre a été bien autrement accablante que celle qu’on réclamait comme rançon des guerres du premier empire, et, tandis qu’à la suite de 1815 il fallait trois ans pour mettre un terme à l’occupation étrangère, la retraite de l’armée prussienne va s’accomplir aujourd’hui, trente mois après la paix de Versailles, deux ans après les fureurs de la commune à Paris. Franchement, avouons-le, quoiqu’on ait trouvé encore le moyen de s’égarer et de s’épuiser en agitations ou en conflits de toute sorte, le temps n’a pas été perdu, puisqu’on a pu arriver si rapidement à désintéresser nos vainqueurs, à délivrer nos dépar-