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l’œil du garnisaire étranger, et, pour tout dire, s’il restait encore un sentiment d’anxiété indéfinissable au sujet de Belfort, le doute a disparu aujourd’hui, toutes les incertitudes sont dissipées. Au 5 juillet, Belfort sera libre comme les autres départemens, et en acceptant, sans se plaindre, de rester deux mois de plus aux mains des Allemands, d’être en quelque sorte la rançon de la citadelle de l’est jusqu’au dernier jour de l’occupation étrangère, la ville de Verdun a montré une fois de plus son patriotisme, ce patriotisme qu’elle a eu l’occasion de déployer pendant la guerre devant l’ennemi. Au fond, tout est là : le mérite du traité du 15 mars est de rouvrir cet horizon de liberté devant le pays et d’en finir avec ces inquiétudes, avec ces défiances, qui pouvaient survivre encore sur un point des plus douloureux.

Non assurément, nous en convenons, le traité du 15 mars, si honorable qu’il soit pour ceux qui l’ont signé, n’est point sans amertume, et cette joie de la délivrance prochaine du territoire n’est pas une joie sans mélange. Il n’y a pas trop de quoi triompher ou illuminer pour une victoire qui consiste uniquement en fin de compte à n’avoir plus l’étranger campé dans nos villes et dans nos campagnes. Cette liberté, bientôt reconquise pour quelques-unes de nos provinces, ravive une cruelle blessure et nous rappelle que de tous ceux qui étaient il y a trois ans encore les enfans de la France, il en est qui ne vont pas se retrouver au foyer de la patrie commune. L’occupation étrangère, en se retirant, ne nous rend pas tout ce qu’elle nous a pris, et on dirait même que ce dernier mot de notre paix avec l’Allemagne laisse peser plus durement sur nous l’implacable loi de la guerre en nous séparant encore une fois en quelque sorte de ceux que nous avons perdus et que nous n’oublions pas ; mais enfin ce n’est pas de cela qu’il s’agit, ce n’est pas là ce que le traité du 15 mars avait à régler. Le bienfait réalisable, possible, de la dernière négociation reste pour ceux qui n’ont été que des otages temporaires, les gages de la solvabilité de la France, pour ceux qui ont été occupés depuis deux ans et qui vont ne plus l’être. Le bienfait reste pour le pays tout entier, dont toutes les résolutions étaient nécessairement à la merci de cette considération souveraine de la présence de l’étranger, — qui, à vrai dire, ne s’appartenait pas à lui-même, et qui maintenant du moins va de nouveau s’appartenir après avoir chèrement payé de son sang et de son argent ses fautes et ses malheurs.

Non, sans doute, le traité qui a été signé l’autre jour à Berlin n’est ni une concession gratuite de l’Allemagne, ni une rentrée bien triomphante de la France dans les affaires du monde. Ce n’est rien de semblable et c’est peut-être mieux que cela dans la condition qui nous a été faite, à un certain point de vue. C’est le prix du travail, de l’honnêteté, du bon sens résistant à toutes les excitations, de la patiente