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capacités sont hors de doute, mais qui, aux yeux de tous les mortels, est des plus mortelles. » Le correspondant de la Gazette d’Augsbourg était partisan de la dissolution ; il écrivait le 31 décembre : « L’année finit bien, la bourse monte, et Versailles tombe. Les paroles attendues par le pays avec une douloureuse impatience apparaissent aujourd’hui comme un salut de nouvelle année dans la feuille présidentielle : dissolution de la chambre ! »

Au fond, les gazettes allemandes ne s’émeuvent guère au spectacle des luttes qui nous divisent ; elles prennent parti pour l’un ou l’autre des champions, suivant leurs goûts ou leurs attaches, mais elles le font d’une manière toute platonique, se penchant au bord de l’arène, se gardant bien de s’y laisser tomber ; elles assistent au drame en curieuses fort avisées, elles ne s’y mêlent qu’autant qu’il leur convient et que cela peut être utile pour mieux entendre les choses. Quand elles concluent, ce qu’elles font rarement, leurs conclusions sont sévères. La Gazette de Cologne croit à une crise après l’évacuation ; elle résumait ainsi son jugement sur la situation présente : « applaudissemens à droite, sifflets à gauche ; ici et là, comédie et comédie. Les choses restent au même point ; Thiers indispensable dans l’assemblée, les chambordistes incorrigibles comme leurs meneurs les jésuites, les uns et les autres enclins à une réconciliation impossible, cherchant à gagner du temps jusqu’au moment où l’un ou l’autre exécutera avec plus ou moins de vigueur un 2 décembre. Jamais la grande nation ne s’est tirée ou ne se tirera d’une crise constitutionnelle sans perfidie ou terrorisme. » C’est à peu de chose près l’opinion de la Gazette nationale ; elle montrait récemment M. Thiers se rejetant à gauche pour se débarrasser de la commission des trente et s’affaiblissant par « cette faute politique, » la droite avec trois prétendans et pas un roi, la gauche voulant la république et poursuivant une chimère ; elle terminait en disant : « Si la France avait un homme qui fût seulement une fraction de César, avec quelle promptitude il la débarrasserait de M. Thiers et de l’assemblée de Versailles aux applaudissemens du pays tout entier ! Démagogique et conquérante, la France supportera toujours plus volontiers un empereur qu’un Washington. » Un événement de ce genre ne surprendrait assurément pas les docteurs politiques de la Gazette de Spener, ils jugent les Français le moins téméraire et le moins généreux des peuples, et ils donnent pour argument leurs dispositions à subir les dictatures.


« Il faut admettre que les personnes hardies sont une rare exception en France quand on voit les succès immenses qu’ont obtenus Napoléon III, Gambetta, Thiers, par cela seul qu’ils ont osé se compromettre