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Allemagne au mois de juillet 1870 le seul nom de l’empereur ; elle efface d’un trait de plume le souverain déchu du nombre des « ennemis héréditaires. » Il y aurait en ceci quelque grandeur d’âme, si l’arrière-pensée n’apparaissait aussitôt. Si l’on élève Napoléon III, c’est pour abaisser la France ; tout ce qu’on raie du compte de l’empire, on le passe à notre compte. Pour beaucoup d’Allemands, Napoléon III était supérieur à la nation qui l’a renversé.


« Le malheur de Napoléon, dit un correspondant de la Gazette d’Augsbourg qui date ses lettres de Florence, a été de s’élever au-dessus de son peuple et de sa condition : nul mortel ne le fait impunément. Comme les femmes, la France ne considérait en toute chose que l’avantage immédiat, l’intérêt prochain, le gain et la puissance : Napoléon III a dû la contraindre aux bénéfices de la liberté commerciale. Comme les joueurs, la France croit que le voisin ne peut s’enrichir que par la perte du voisin. Si la nation avait laissé faire l’empereur, l’unité allemande eût été fondée en 1866, et l’Allemagne comme l’Italie aurait honoré les grandes vues de Napoléon. La nation au contraire a vu dans la politique impériale en Allemagne et en Italie un crime contre la patrie ; elle n’a pas voulu comprendre ce qu’aurait été pour elle l’amitié de deux voisins comme une Allemagne grandissante, forte, unifiée, et une puissante Italie ; comme elle n’a pas compris, elle s’est abandonnée à une colère aveugle contre des faits inévitables, elle est tombée et elle a entraîné son souverain dans sa chute. »


Cependant la catastrophe a été profitable à l’Allemagne, et elle en témoigne à la mémoire de l’empereur une reconnaissance relative. La fin de l’empire français, dit un recueil, a été le commencement de l’empire allemand, et dans cette mesure l’empire allemand est un fruit de la politique napoléonienne. C’est une considération faite pour adoucir la haine et affaiblir la rancune. La Gazette de l’Allemagne du nord le déclarait en un langage solennel, « la nation, dans le sentiment de son bonheur si ardemment désiré, a volontiers oublié le défi téméraire qui lui a été jeté à la face. » Le tableau serait incomplet, s’il ne s’y mêlait quelque couleur locale, si nous n’y trouvions cette nuance de prud’homie scientifique qui distingue souvent la critique allemande. Ce n’est pas seulement par dignité, par un sentiment juste des intérêts nationaux, qu’il convient aux Allemands de se montrer modérés à l’égard de Napoléon III ; « un caractère aussi intéressant, dit l’Unzere Zeit, aiguillonne la psychologie allemande ; elle cherche moins à le condamner qu’à le pénétrer. Napoléon sur la table de dissection, telle doit être la devise de la presse allemande dans