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périodiquement à ses lecteurs des travaux du même genre. La curiosité des Allemands ne s’en tient pas là, et leur critique s’appesantit parfois sur des objets qui, par leur nature même, offraient, à notre sens, assez peu de prise. C’est ainsi que nous avons vu traduire et réfuter gravement des chroniques de journaux fantaisistes qui ont pu s’étonner eux-mêmes d’être pris au sérieux. Du reste, depuis l’invasion, depuis que pour notre malheur les Allemands ont appris à nous connaître de plus près, ils sont forcés de nous rendre justice. Les anciens clichés sur l’immoralité française, la dissolution des mœurs, l’absence d’esprit de famille, la frivolité endémique, l’adultère passé dans les habitudes, ont à peu près disparu de leur presse ; ils y feraient, à la vérité, et ils font encore aux lieux où on les reproduit, une assez étrange figure entre les statistiques criminelles, le chiffre toujours croissant du « déficit moral » de Berlin et le récit d’aventures comme celles de M. Wagener. Beaucoup d’Allemands s’inquiètent du désordre moral qui semble accompagner dans leur pays la prospérité politique et le progrès de l’industrie. Ils s’effraient de la rapidité avec laquelle se développent dans le nouvel empire des germes de corruption sociale. La contagion vient de la France, dit-on, mais on reconnaît que la France possède encore assez d’énergie latente pour combattre ce mal. On lisait dernièrement dans un journal prussien : « La vie de jouissance, la féodalité industrielle, la fièvre de l’or, la fureur de spéculation, sévissent à Berlin autant qu’à Vienne ; la corruption croissante, l’impudeur dans la vie publique, dans les rues, sur les théâtres, dans la presse, l’esprit de frivolité qui empoisonne le peuple, voilà l’invasion que la France vaincue conduit en Allemagne ; mais nous ne parlons ici que de la mauvaise France. L’esprit français a ses nobles qualités ; il est chevaleresque, il est animé d’une tendance passionnée vers une conception supérieure de la vie. Dieu a donné des contre-poisons à la nation française : nous devons espérer qu’il en reste beaucoup dans les provinces. »


I

Les Allemands s’intéressent aux affaires de l’Europe au moins autant qu’à leurs propres affaires. C’est un trait remarquable de leur esprit ; c’est aussi le caractère spécifique de leurs journaux. Ils sont faits pour instruire, non pour amuser. La principale préoccupation des hommes qui les dirigent est d’être bien renseignés sur ce qui se passe à l’étranger. Nous avons beaucoup à apprendre sous ce rapport. Nos journaux parlent trop peu de l’Europe ; en général ils n’en parlent que par ouï-dire. Nous empruntons presque