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les conditions des concessions de terres, et, qui le croirait ? à déterminer les droits de succession des veuves des déportés aux biens que ceux-ci pourront acquérir à la Nouvelle-Calédonie. A quoi sert donc l’expérience ? Avant que les déportés aient défriché un arpent de terrain, on s’occupe de déterminer les conditions de l’héritage qu’ils pourront laisser un jour, non pas en France, remarquez-le bien, mais dans la colonie, par les produits d’une culture qui n’est pas même ébauchée ! Les éminens agriculteurs de la chambre ne savent-ils pas combien il est difficile de gagner seulement des moyens d’existence par la petite culture ? Ignore-t-on qu’il n’y a pas de petits agriculteurs en Australie, et que les plus chétifs colons de ce pays, quand ils ne se bornent pas à exercer dans les villes les industries à salaires journaliers, n’ont pas moins de dix mille moutons dans des pâturages naturels sans limites ? Lorsque les déportés de la Nouvelle-Calédonie auront consacré des années à la culture de petits champs, et qu’il y croîtra des légumes, ces produits serviront à la consommation de la famille, et pendant longtemps l’excédant, vendu à Nouméa, ne suffira pas pour la vêtir. Pour que la spéculation s’exerce utilement dans un pays, pour que l’industrie s’y développe, un élément principal est nécessaire, une population. Il n’en existe pas en Nouvelle-Calédonie, et avant qu’elle s’y forme, un long espace de temps s’écoulera, car, en admettant même de nouvelles révolutions qui amèneraient d’autres contingens de déportés, ceux-ci n’apporteraient dans la colonie que la misère. A lire les correspondances déjà parvenues de la presqu’île Ducos et publiées dans plusieurs journaux de Paris, on voit que les déportés ne se font pas d’illusion, et que si quelques-uns consentent, — ce qui est peut-être peu sérieux, — à s’adonner à la culture, la généralité ne partage pas ces idées, et se propose au contraire d’attendre dans le far niente l’époque de la délivrance ! Le motif qu’ils donnent est spécieux, c’est qu’ils ne sont pas agriculteurs, qu’ils sont pour la plupart des artisans de Paris, dont le métier ne peut s’exercer dans une ville rudimentaire comme Nouméa. Il n’en est pas moins vrai que, d’après les paroles de M. le ministre de la marine, 170 femmes ont demandé à rejoindre leurs maris. Cela fera 170 ménages. Dieu le veuille ! mais cela ne fera pas que la colonisation ait des bases solides. Chacun sympathisera bien volontiers avec ces personnes, sans doute dignes d’estime, que l’affection entraîne vers leurs maris à des milliers de lieues ; cependant fallait-il pour ce nombre infime et pour des intérêts fort problématiques se livrer, comme on l’a fait, à une consultation judiciaire en quatre ou cinq discours, où les « grands principes » qui président au règlement des successions dans le code civil ont été longuement