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Non certes. Chaque membre avait ses idées personnelles ; la plupart s’attachaient au mot de république sans être en état de le définir. Le commun des insurgés y voyait un régime où chacun serait salarié par l’état sans autre travail que le vote aux élections, la présence aux clubs, les longues stations devant les comptoirs de marchands de vin, et quelques heures de garde aux mairies pour la conservation d’un état social si satisfaisant. C’était le résumé du socialisme pour la masse des combattans. Les autres, fins renards, comprenaient le socialisme comme devant amener la distribution des biens entre tous les habitans, et ils commençaient naturellement à se faire leur part au moyen des réquisitions dans les établissemens publics ou chez les particuliers. Il y avait aussi de purs jacobins, rêvant le despotisme d’un comité de salut public, dont ils auraient fait partie ; d’autres haïssaient simplement tout gouvernement régulier, peut-être parce qu’un gouvernement régulier ne marche pas sans gendarmes, sans juges et sans prisons. Bref, ni le comité central qui a précédé la commune, ni la commune, à qui le comité de salut public a succédé, n’ont laissé un corps de doctrines, un symbole de foi quelconque. Les nombreux dossiers consultés, les interrogatoires des prévenus, n’ont rien révélé que l’inanité de ce mouvement. On y a vu des parodistes de 1793, cerveaux honnêtes à leur manière, mais vides d’idées, et au-dessous l’ignorance absolue ou bien des appétits qui, pour s’assouvir, n’ont pas reculé devant le crime. En un mot, cette enquête judiciaire a prouvé que, si par surprise ou par faiblesse le gouvernement de notre pays pouvait encore tomber en de telles mains, ces mains seraient incapables de le garder, même quelques mois, tant est grande leur impéritie.

Les deux tiers des prévenus, soit 23,000 environ, furent relâchés par acquittement ou par ordonnance de non-lieu. Dans le nombre des condamnations prononcées et qui ont varié depuis la peine de mort jusqu’aux trois mois de prison du peintre Courbet, on compta quatre mille sentences de déportation. Tel est le contingent que l’insurrection du 18 mars fournit aux rêves de colonisation par les déportés ! Quoi qu’il en soit, notre assemblée nationale, émue d’une grande pitié pour ces transportés, a pris la peine de faire tout un code de lois à leur usage, et chacun de ces actes législatifs a été caractérisé par un nouveau progrès dans la voie de la timidité et de la faiblesse. Il semble en vérité que ces lois s’attachent à détruire par avance le but que la majorité des législateurs veut atteindre. Leur intention est d’améliorer le régime de la déportation tel qu’il fonctionnait sous l’empire, et, pour remplacer des lois inefficaces, ils en ont adopté de plus insuffisantes encore. Voici que ces jours derniers l’assemblée a consacré quatre séances consécutives à régler