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vulgaires émeutiers à la hauteur d’hommes politiques, et voilà pourquoi nous sommes désarmés devant eux. L’Angleterre ne fait pas de pareilles confusions. Elle ne poursuit guère les écrits, mais quand sa police ramasse à Dublin quelque rioter dans une échauffourée en l’honneur de la vieille indépendance de l’Irlande, elle l’embarque pour les colonies, où l’on reçoit encore des transportés, et le soumet au régime commun de ses compagnons, sans privilège ni faveur. Les rioters cassent les pierres sur les routes en vêtemens jaunes, ce qui fait que le peuple anglais, peu tendre de sa nature pour les misères méritées, les appelle des serins.

Toutefois notre loi semble avoir quelque remords d’autoriser ainsi une oisiveté qui lèse les intérêts de l’état tout en favorisant parmi les condamnés les progrès de la dégradation morale. Elle a prévu le cas où le transporté commettrait un délit, où par exemple il utiliserait ses loisirs pour préparer des moyens d’évasion. Dans ce cas, le conseil de guerre intervient ; s’il prononce une peine, c’est celle du travail obligatoire. Ainsi le travail, qui devrait être la loi ordinaire et commune, devient une exception et une peine ; mais à quoi bon même cette exception, si l’on n’a pas les moyens de l’imposer aux transportés ? Et si l’on a ces moyens, pourquoi ne pas les employer ?

Il y a certainement des déportés âgés, valétudinaires ou peu propres au labeur de chaque jour : ils peuvent être exemptés des travaux manuels ; c’est une affaire de règlement. Qu’on les emploie selon leurs forces et leurs facultés, rien de plus juste ; mais qu’on ne les entretienne pas dans une paresse malsaine. Les transportés ont la prétention de diriger la politique et le gouvernement de l’état ; il serait bon avant tout qu’ils apprissent à lire. Un grand nombre sont illettrés ; que leurs compagnons moins ignorans les instruisent. Astreindre les uns à professer, les autres à étudier, ne serait-ce pas faire une première et très bonne application du principe de l’instruction obligatoire ?

Il est certain que la transportation politique ne colonisera jamais nos établissemens éloignés ; il n’est pas moins incontestable qu’elle coûte fort cher. Le rapporteur de la loi estimait à plus de 700 fr. par tête le prix de la nourriture et de l’entretien annuel d’un transporté à la Nouvelle-Calédonie. Il faut ajouter à cette dépense celle de la traversée, soit 1,100 francs pour aller, autant pour revenir. Dix années de transportation sous le précédent gouvernement ont coûté à l’état de 50 à 55 millions. Qu’ont-elles produit ? Rien. — Pourquoi continuer un tel régime ?