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furieuse ; on en a vu dans cet état qui, s’emparant d’un outil, frappaient de coups mortels, sans choix et sans motifs, officiers, soldats et même leurs camarades. Les provisions sont abritées sous les cases, et les basses-cours y sont également installées. Les anciennes cases à nègres sont dispersées irrégulièrement sous les ombrages. On les a restaurées dans leur site pittoresque. C’est la demeure des habitans soigneux de leur bien-être, des fonctionnaires à qui leurs spécialités donnent une sorte d’indépendance, tels que les chirurgiens, le chef du service administratif, l’aumônier. L’hôpital est fréquenté par les sœurs de charité ; c’est un vaste bâtiment construit avec grand soin et tenu dans un état de propreté minutieux. Voici plus loin le camp même des transportés. Voyez cette double rangée de cases uniformes. Chacune a 16 mètres de long sur 6 de large, chacune contient 32 hommes. Toutes sont portées sur des patins ou piliers, précaution nécessaire contre l’humidité. Dans le sens de la longueur, deux fortes barres de bois ont été assujetties, laissant entre elles l’espace d’un couloir pour la circulation et la surveillance. Ces rampes servent à dresser les hamacs ; ils y sont attachés solidement du côté des pieds, tandis que la tête du lit est suspendue au mur. Chaque prisonnier a sa planchette également fixée à la cloison extérieure. Il y place ses effets, un numéro d’ordre désigne le propriétaire.

Si le camp des transportés est destiné à recevoir des condamnés non libérés qui achèvent leur temps de bagne, on l’entoure quelquefois de murs crénelés, on élève aux quatre angles des blockaus en bois dur à l’épreuve de la balle et percés de meurtrières. Ces blockaus sont une prison et un corps de garde, mais la surveillance ainsi armée n’a jamais empêché l’évasion d’aucun prisonnier. Ils sont mieux gardés par l’immensité même du désert qui les étreint et les étouffe, à peine livrés à eux-mêmes. A peu d’exceptions près, les évadés périssent en quelques jours, épuisés par la fatigue, par la maladie et par la faim. D’horribles exemples, des scènes de cannibalisme, des débris de cadavres de fugitifs rapportés aux pénitenciers, préviennent les tentatives d’évasion mieux que les plus solides barrières.

Il est cinq heures du matin ; c’est l’heure du lever général. Un quart d’heure pour la toilette ; ensuite distribution d’un peu de soupe et d’un morceau de pain. A cinq heures et demie, l’appel et la répartition des hommes par chantiers. Le travail commence à six heures et finit à dix heures. Déjà, il n’est plus permis de braver le soleil. A dix heures et demies le déjeuner : du lard, du bœuf frais ou salé et des légumes. Chaque pensionnaire a droit à 25 centilitres de vin par jour, quelquefois cette ration est remplacée par le