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Dans cette lugubre série de péripéties, il est à peine un tableau qui repose de ces scènes de meurtre où les acteurs du drame disparaissent l’un après l’autre, victimes volontaires ou non. On ne saurait y voir une exagération dramatique ; en dehors de l’enchaînement fatal des faits, c’est une peinture assez fidèle des mœurs féodales de ce peuple et l’expression du mépris de la mort, de l’insouciance de la vie humaine, qui caractérisent ces races de l’extrême Orient. Si parfois le récit paraît tourner à l’idylle, il reprend bien vite, à la faveur d’un incident, son allure primitive. Une scène nous montre une jeune fille appartenant à la classe des samouraï, voyageant sur le tokaido, grand chemin qui relie les principales provinces du Japon à la capitale. Sa mère et quelques serviteurs l’accompagnent : de confortables norimons servent de véhicule aux deux femmes, et souvent, pour rompre la monotonie de ces longues étapes, elles font à pied, en avant de leurs gens, une partie du chemin. On est encore à la fin de l’automne, la saison des voyages au Japon ; l’air est vivifié par les premières brises du nord que tempère un brillant soleil ; les arbres résineux, les grands chênes verts et les lauriers, les bosquets de camélias au sombre feuillage, font encore au paysage à moitié dépouillé un fond de verdure qui donne à la campagne japonaise, même en hiver, les rians aspects d’un parc sans fin : le pic, déjà couvert entièrement de neige, du Foudsiyama domine l’horizon de sa masse d’une blancheur éblouissante. Le père de la jeune voyageuse est le vieux Kawatzou, ce serviteur du daïmio Monomoï, qui a conseillé à son maître de venger l’honneur et la mort d’Egna sur la personne de son ennemi. Monomoï, ébranlé par la fin tragique du prince, arrêté par le respect pour la justice souveraine, n’a pas quitté son château. Kawatzou y est resté avec lui, lorsqu’un message de Hori, l’ancien karo d’Egna, est venu lui demander une entrevue secrète entre sa fille et le fils de Hori, fiancés depuis quelques années. Le rendez-vous est donné dans un village du tokaïdo à peu de distance de la capitale. La jeune fille est donc partie, le pied léger et le cœur joyeux ; malgré la catastrophe de la maison d’Egna, elle s’est reprise à espérer : son fiancé ne peut-il pas être adopté par Kawatzou, âgé et sans fils, pour succéder à sa charge dans le château de Monomoï ? Le vieillard ne partage pas les espérances de sa fille ; il connaît le caractère de son ami Hori, et, jugeant par ses propres sentimens de ceux des serviteurs d’Egna, devine les projets que son ami doit poursuivre à cette heure. Déguisé en pèlerin, il part après les deux femmes, et les suit à une étape de distance. Au village fixé pour le rendez-vous, une scène nous le montre aux aguets derrière une cloison, sous la vérandah de la maison où Hori vient de recevoir sa