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adversaires dans leurs châteaux. Les deux princes viennent de quitter la capitale. Il n’y a donc qu’à laisser les événemens suivre leur cours, et chacun attend avec anxiété le dénoûment inévitable du drame inauguré au temple d’Hatchiman.


II

Les navigateurs qui parcourent la mer intérieure du Japon et qui circulent au milieu de cette série de détroits et d’archipels qui occupent, au cœur d’un magnifique pays, plus de cent lieues d’étendue, remarquent çà et là, soit au sommet d’une colline, soit au fond de quelque baie verdoyante, une longue muraille crénelée, garnie de distance en distance de hautes tours. C’est le château d’un daïmio, enceinte fortifiée où jadis ces formidables vassaux entretenaient de véritables armées. Depuis lors, leur puissance a été bien réduite ; mais peut-être les anciennes velléités d’indépendance et de révolte germeraient-elles encore derrière ces murs, si le prince n’avait près du souverain, dans sa résidence de la capitale, une partie de sa famille en otage[1]. Tel est l’asile où Egna s’est retiré, au centre de son territoire, qui occupe une partie de la populeuse province d’Arima. A l’extérieur du château, l’enceinte est seule visible. Elle circonscrit un vaste espace de terrain de forme rectangulaire. La muraille, haute de 30 à 40 pieds, formée de ces gros blocs de pierre irréguliers dont l’architecture désigne l’ensemble sous le nom de construction cyclopéenne, est surmontée d’une galerie en bois recouverte d’une épaisse toiture en tuiles noires, revêtue de stuc blanc, et percée de nombreuses meurtrières ; de l’intérieur, on découvre que cette galerie correspond à la plate-forme du rempart, et que ses parois et son toit protègent les défenseurs contre le tir des flèches et l’attaque par escalade, comme les hourds qui, au moyen âge, garnissaient en temps de guerre les sommets de nos tours. Le pied des murailles baigne dans de larges fossés pleins d’eau. Aux angles, et de distance en distance, de hautes tours, de même apparence que les galeries, élèvent leurs deux ou trois étages aux toitures recourbées. Une tour semblable, mais plus importante, apparaît au milieu de l’enceinte, à travers les grands plus dont on aperçoit les sommets au-dessus des murailles : c’est un réduit intérieur isolé, véritable donjon d’où l’on domine tout le

  1. Cette obligation, créée seulement au XVIe siècle par le fondateur de la dernière dynastie taïcounale, a été abolie en 1863 par ses successeurs, à la veille de la révolution qui a renversé cette institution, et préparé la disparition complète de la féodalité japonaise.