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dans un autre, et les grandes fêtes de l’église étaient célébrées successivement dans des localités différentes. Cet usage, qui avait pour mobile la pensée de propager le respect et l’amour du souverain, n’aboutissait qu’à la désaffection du prince et au respect de ses conseillers. Sans doute, dit Luden, ceux-ci pouvaient surveiller le jeune roi, l’entourer d’un jaloux espionnage, empêcher par tout moyen que rien n’arrivât à ses oreilles ; mais l’enfant avait été poussé plus avant que ne comportait son âge ; il était devenu pénétrant par la crainte de nouvelles violences. Il se jeta par distraction dans les ébats qu’on offrait à son ardeur pour la chasse et les plaisirs ; mais il voyait de trop près les vices et les passions pour n’en pas garder le mépris de l’humanité. Les chagrins concentrés, des excès qu’on peut supposer, les crises de l’âge, déterminèrent chez lui, de 1067 à 1068, une grave maladie dont il eut peine à se relever. Il atteignait alors l’âge de dix-huit ans. Ce fut après sa guérison que l’attention publique fut attirée sur un caprice du prince qui prit facilement le caractère d’une affaire politique. Dès l’âge de cinq ans, son père avait disposé de lui pour un mariage, et l’avait fiancé à la fille du puissant marquis de Suse, qui tenait en ses domaines les passages d’Allemagne en Italie par les Alpes. La jeune Berthe avait été conduite à la cour de Germanie, et, d’un âge à peu près égal à l’âge d’Henri, elle avait grandi à côté de lui, sans inspirer, ce qui n’est pas rare en cas pareil, d’autre sentiment à son fiancé que celui d’un attrait médiocre. Lors donc que, l’âge propice arrivant, on voulut les unir par le lien religieux et naturel des époux, Henri subit la volonté que lui imposèrent les évêques régens, mais ni son cœur ni ses sens ne se prêtèrent, paraît-il, aux vœux de ses tuteurs. Les choses en étaient là, lorsqu’en 1069, ayant recouvré la santé, acquis de l’expérience et pris quelque hardiesse par l’émancipation politique qu’il venait de recevoir en revêtant l’armure de l’âge viril, Henri parla de divorce avec son épouse Berthe, et montra la résolution de satisfaire son désir. Ses ennemis lui ont reproché cette pensée comme un acte de dépravation. Ce n’est point à dix-neuf ans, et après tant de contraintes morales, qu’une pareille corruption se glisse dans le cœur humain. Le langage et les motifs que lui prêtent les chroniques non passionnées ont le caractère d’une naïveté pour laquelle on éprouve de l’indulgence[1]et qui porte l’empreinte de la vérité.

  1. « Rex ad publicum refert, dit Lambert (loc. cit., p. 338), sibi cum uxore sua non convenire, diu oculos hominum fefellisse, ultra fallere nolle, nullum ejus crimen quo juste repudium mereatur offerre, sed se, incertum quo fato, quo Dei judicio, nullam cum ea maritalis operis coplam habere, proinde per Deum orare ut se male ominata compede absolvant. » Dans la lettre de l’archevêque de Mayence au pape, nous lisons :
    « ille retulit nobis, ea de causa se velle ab ea separari, quia non posset ci tam naturali, quam maritali coitus fœdere copulari. » Voyez Mascov, p. 20, note 5, et Labbe, Concil., t. IX, p. 1200.