Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/627

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revendication des anciens privilèges de la ville éternelle, même par des caresses d’habile chef de parti, aux héritiers des factions de Tusculum[1], qu’il devait réduire plus tard à l’impuissance définitive. Hildebrand allait profiter adroitement de la minorité débile du fils d’Henri III pour faire franchir un degré de plus à la réforme qu’il méditait. Cette grande œuvre était multiple et compliquée ; en affronter d’un seul coup tous les points attaquables eût été folie. L’audace d’Hildebrand est méthodique et prudente. Les difficultés s’accumuleront certes assez tôt pour précipiter les acteurs dans les hasards d’une explosion formidable. Hildebrand n’est pas prêt encore à la bataille universelle ; cependant les opérations préliminaires peuvent être essayées. Il va préparer le terrain par une entreprise isolée, mais hardie.

A peine Victor II avait fermé les yeux, en Toscane, à la suite d’une courte maladie due aux fatigues de son voyage d’Allemagne, qu’à l’instigation d’Hildebrand le peuple et le clergé romain, sans s’occuper de ce qu’en dirait la cour impériale, procédèrent à l’élection directe du pape qui devait succéder à Victor II ; dans les vingt-quatre heures même la consécration lui fut donnée. Le pape élu était un moine qui, après avoir été cardinal chancelier de l’église romaine du choix de Léon IX, s’était retiré dans le cloître célèbre du Mont-Cassin, où il méditait depuis trois ans sur les misères humaines. Nous dirons bientôt quel était ce personnage ; insistons ici sur la forme de son élection. L’empereur avait nommé le pape jusqu’à ce jour, et l’avait fait accepter par les Romains. Hildebrand fait nommer directement par le peuple et le clergé de Rome, et par une sorte de mouvement populaire, le successeur de Victor II, réduisant à l’approbation du fait accompli la fonction de l’empire, c’est-à-dire que les rôles sont renversés ; c’est le retour au droit carlovingien, en tenant comme non avenu le droit ottonien. L’élu était sans doute un saint homme, mais son élection n’en était pas moins une élection politique au point de vue électoral ; elle l’était encore au point de vue de la personne de l’élu et de ses dispositions à l’endroit des désordres de l’église. Il était aussi fort attaché aux intérêts italiens, presque Italien par adoption de patrie.

Le nouveau pape, qui fut Etienne IX, était de fort grande maison, comme ses derniers prédécesseurs. Il était de la noble maison d’Ardennes ou d’Anvers, issue d’un maire du palais, et troisième fils de Gothelon dit le Grand, duc de la Basse-Lorraine, lequel, grand agitateur sous Conrad II et visant à l’empire, avait légué son

  1. Albericus et Cincius… ab ipsa pene adolescentia in romano palatio nobiscum enutriti. Reg. greg., VII,, lib. I, I, et Giesebrecht, D. K., t, III, p. 1050,