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l’ouvrage de M. Villemain le tableau animé de cette décadence et la relation de l’œuvre réparatrice d’Hildebrand. Le mélange singulier d’une naïve dépravation, de visions merveilleuses et de scènes touchantes de résipiscence donne à ce récit un intérêt que rehausse l’éclat de la plume du brillant écrivain. « On concevra sans peine, dit- il, combien dans un siècle d’ignorance et de barbarie cet exercice du gouvernement monastique devait donner de ressources et d’expédiens pour subjuguer les esprits, et l’on ne s’étonnera pas de voir, à cette époque et longtemps après, sortir d’un cloître presque tous les hommes qui exercent le plus de pouvoir sur leurs contemporains. Ils n’étaient pas seulement prêtres, ils étaient moines, et la vie du cloître, ce mélange de méditation et d’activité, la pratique de l’obéissance et du commandement parmi des égaux, leur avaient donné quelque chose de plus habile ou de plus calme. » La réforme accomplie par le sous-diacre Hildebrand dans le monastère de Saint-Paul de Rome n’était point d’ailleurs une œuvre isolée. Elle était essayée par Léon IX partout où son autorité pouvait commander l’obéissance, et d’ardens apôtres de rénovation en portèrent l’entreprise à cette époque sur tous les points de la chrétienté par une sorte d’élan général qu’a très bien saisi et signalé M. Guizot dans son cours de 1828. Tous les esprits éminens dans le clergé avaient compris que la dissolution des ecclésiastiques devait affaiblir leur crédit[1], et que les concussions impies les rendirent odieux. Pierre Damiani, à qui M. Villemain consacre des pages aussi curieuses qu’éloquentes, a été l’un des organes les plus autorisés et les plus écoutés de cette opinion, et ses ouvrages renferment l’indication la plus complète des vices et des qualités dominantes dans cette période mémorable de l’histoire. Il est plus chrétien quelquefois qu’Hildebrand. Hildebrand est plus politique, il domine, il est le grand homme d’action de la réforme en même temps que son puissant organisateur.

Je ne saurais quitter Léon IX sans parler de sa mort, qui fournit à M. Villemain un épisode poétique et hagiographique à la fois du plus émouvant caractère. Le pieux pontife voulut mourir dans son église même, au son du glas funèbre, au pied de l’autel, y fit transporter son lit mortuaire aux yeux du peuple accouru pour se repaitre du spectacle d’un pape agonisant, bénissant la tombe

  1. Dans un ouvrage spécial adressé à Léon IX, Pierre Damien dénonce énergiquement des vices infâmes dont étaient infectées les églises chrétiennes d’Italie. Voyez dans l’ouvrage de M. Villemain, t. Ier, p. 303, de curieux détails sur une correspondance ouverte à cet égard entre Pierre et le pape. Dans un concile de cette époque, on décréta que toute femme convaincue de s’être prostituée à un prêtre serait adjugée comme esclave, soit au palais de Latran, soit au profit de l’évêque. Labbe, XMI, p. 59.