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s’est attachée à ses premiers ans, et M. Villemain a judicieusement réfuté plusieurs fables de ce genre, entre autres celle du songe d’Henri III, relatif aux futurs périls que le jeune Hildebrand réservait à la postérité de ce monarque. Il est difficile, surtout au moyen âge, qu’un homme frappe vivement l’imagination des peuples sans que l’exagération ou le merveilleux se mêlent de la partie. Le nom d’Hildebrand a fait croire à l’origine germanique de sa famille : rien ne l’indique dans les monumens qui nous restent ; tout porte à croire plutôt à une origine italienne, natione Tuscus, mais on ignore en l’honneur de qui ou pourquoi lui fut donné au baptême le nom d’Hildebrand, qui, prononcé différemment, a été pour les uns interprété en pure flamme, et pour les autres en tison d’enfer. Il est certain que son père Bonizo était d’humble condition : charpentier, peut-être chevrier, vir de plebe sans aucun doute. L’abbé de Saint-Arnulphe de Metz lui en faisait un titre d’honneur au moment de son élévation au pontificat. « La sagesse divine, lui disait-il, ne pourvoit jamais plus utilement aux choses humaines que lorsque, choisissant un homme du peuple, elle l’élève à la tête de la nation, comme un modèle dont la vie et la conduite montrent aux plus humbles où peuvent, tendre leurs efforts[1]. » Ainsi se manifestait par les moines la démocratie religieuse au moyen âge.

Hildebrand n’était pas d’une taille héroïque, et ses adversaires n’ont pas oublié de nous l’apprendre. L’évêque Benzo et Guillaume de Malmesbury[2] l’appellent homuncio exilis staturœ, et le premier ajoute qu’il était ventre lato, crure curto. C’est par l’esprit qu’il devait remuer le monde. Son teint était brun et ses cheveux noirs ; fuscus erat, disent les annales de Palith[3], dont l’indication n’a pas été relevée, à ma connaissance. Il est assuré qu’il a été attaché de bonne heure, et à Rome même, au monastère de Sainte-Marie-Majeure sur le mont Aventin. C’est dans ce couvent, où il a reçu la première éducation, que l’a pris l’affection du pape Grégoire VI, auquel Hildebrand a voué une reconnaissance éternelle, et c’est une des singularités de ce grand personnage d’avoir dû sa fortune, lui qui a été l’exterminateur inexorable de la simonie dans l’église, à un pape simoniaque, déposé pour ce fait, et de lui avoir conservé dans le malheur une inviolable fidélité. Il est vrai que rien n’a été plus touchant que l’humilité repentante de

  1. Voyez le texte dans les Bollandistes, vol. cité, et dans le livre de M. Villemain, I, p. 261.
  2. Dans Pertz, XI, p. 659-60, et X, p. 474.
  3. Annales Palideuses, dans Pentz, XVI, p. 69. On y trouve, sur la jeunesse d’Hildebrand d’autres détails, la plupart légendaires, qu’il faut conférer avec les Bollandistes et avec Watterich.