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perspective de cette divergence profonde et toujours croissante entre les deux grandes puissances occidentales détermina la cour de Saint-Pétersbourg à envoyer à Londres le plus habile de ses négociateurs. M. de Brunnow fut chargé d’offrir la coopération la plus efficace de son souverain à toutes les mesures que le cabinet anglais et ses alliés croiraient devoir prendre contre Méhémet-Ali, d’accord avec la France ou, mieux encore, sans elle. L’influence du maréchal Sébastiani et les résistances d’une portion notable du conseil, qui attachait plus de prix au bon accord avec la France qu’à la question d’Orient, firent une première fois échouer la mission de l’envoyé russe ; c’était le moment pour nous de faire un grand effort afin d’arriver à une entente suffisante avec l’Angleterre. Malheureusement les idées les plus exagérées sur les ressources réelles de Méhémet-Ali, sur son dévoûment à la France, sur telle mission providentielle qui lui était attribuée en Orient, dominaient non-seulement le public et les chambres, elles avaient pénétré profondément dans le conseil, et le plus sage des souverains n’avait pu se soustraire à cette influence. On conclut un peu témérairement du départ de M. de Brunnow que les propositions dont il avait été l’organe étaient irrévocablement repoussées, et l’on persévéra plus que jamais dans l’attitude isolée. La cour de Saint-Pétersbourg saisit avec habileté l’occasion nouvelle qui s’offrait à elle, et M. de Brunnow reparut à Londres, chargé cette fois de consentir à l’abrogation définitive du traité d’Unkiar-Skelessi, du moment où la sécurité de l’empire ottoman serait garantie par les mesures de rigueur que proposait lord Palmerston contre le pacha d’Égypte.

Sur ces entrefaites, M. Guizot remplaçait le maréchal Sébastiani comme notre ambassadeur à Londres. Sans partager toutes les illusions de Paris sur la puissance de Méhémet-Ali et sur l’état réel de la question générale, il arrivait animé du plus sincère désir de faire prévaloir, dans la mesure du possible, les vues de la France et de son gouvernement ; mais il ne tarda point à reconnaître la gravité réelle de la situation. Nous rencontrons avec un extrême plaisir, dans la correspondance intime qui nous occupe, le témoignage que le ministre anglais rend à la sagacité persistante de notre illustre ambassadeur, et une juste appréciation de l’élévation de son caractère non moins que de ses hautes facultés. Il ne sera pas toujours aussi équitable, et, quand M. Guizot sera plus tard appelé à défendre victorieusement contre ses entreprises les intérêts essentiels de la France sur un autre théâtre, les attaques habituelles de lord Palmerston ne lui seront point épargnées.

« Un fait important et que je tiens d’une personne qui a vu les