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partout. Écoutons cette voix impartiale. Les Prussiens ignoraient absolument les mouvemens de l’armée française deux jours avant la bataille. « On donne pour motif, dit le journal de Palmerston, que l’esprit de désertion était tellement répandu dans l’armée qu’il était inutile d’envoyer en reconnaissance des patrouilles qui passaient le plus souvent à l’ennemi au lieu d’en rapporter des nouvelles… L’aide-de-camp du duc de Brunswick, dans les bras duquel il est tombé mortellement blessé, et qui est venu remettre au roi ses insignes de l’ordre de la Jarretière, rapporte qu’au premier feu de la mitraille les Prussiens ont fui comme des perdreaux… Après une déroute pareille à celle d’Iéna, il est naturel d’en chercher les causes dans la trahison ou l’incapacité des officiers et des chefs, et il arrive souvent que des hommes dont la seule faute est de n’avoir pas réussi sont en butte à la plus grande injustice ; mais ici il est hors de doute que ce sont ces raisons qui ont déterminé en grande partie les désastres. » En effet, Napoléon s’annonçait comme devant réorganiser l’Allemagne, et il est constant que le désir de pactiser avec le vainqueur ne se manifestait que trop visiblement. On sait que, parmi ses projets, celui de faire disparaître entièrement la Prusse de la carte européenne a été conçu et discuté[1] ; cependant des conseils plus modérés finirent par prévaloir. — Trois fois depuis Paris a vu les Prussiens dans ses murs. Qui douterait encore de l’inconstance de la fortune et de ce que peut, pour l’enchaîner, l’énergie d’une race régénérée par le malheur ? — On a beaucoup parlé de la cigarette de Sedan ; que dire de la partie de chasse d’Osterode ? « Le roi se réfugia d’abord à Custrin, puis à Osterode, dans les environs de Dantzig. Telle était son apathie à l’égard de ses affaires que, quand le comte Voronzof, qui lui était envoyé en mission de Saint-Pétersbourg, le rejoignit, il fut invité sur-le-champ à suivre le roi dans une partie de chasse. — Le sport fut bon : on tua un loup et un élan. La reine, quoique souffrante et indignée de ce divertissement inopportun, fut contrainte d’y assister[2]. » Voyons maintenant quelle fut la générosité du vainqueur. « Cette journée, la dernière de la monarchie prussienne, fut également fatale à son héroïque vétéran, le duc de Brunswick. Son

  1. J’ai connu dans ma jeunesse un employé supérieur du département des affaires étrangères, M. Dumont, qui m’a raconté que Napoléon, à son retour à Paris, avait donné à traiter dans les bureaux cette question même de la répartition entière de toutes les provinces de la Prusse. Berlin l’embarrassait surtout ; qu’en faire et à qui l’attribuer ? Le meilleur mémoire fut celui de M. Gérard de Rayneval, père du premier ambassadeur de ce nom et grand-père du second. Napoléon en fut tellement content qu’il écrivit au bas, de sa main : « 25,000 francs pour l’auteur. »
  2. Note de lord Palmerston.