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appréciaient son affectueux dévoûment aux institutions fondamentales du pays, et lui savaient gré de n’avoir jamais recherché une funeste popularité en précipitant le cours des idées novatrices. Il exerçait ainsi, toujours le sourire sur les lèvres et sans aucun effort apparent, une domination presque incontestée quand les approches de la mort triomphèrent enfin de ces forces qui avaient dépassé de si loin les conditions ordinaires de l’humanité.

Nous avons envisagé jusqu’ici lord Palmerston dans ses relations avec les affaires purement intérieures de son pays. Ce n’est point de là cependant que lui est venue sa grande notoriété, ce n’est point par là qu’il a provoqué les plus vives censures ou excité les plus ardentes sympathies. Avant de diriger, à diverses reprises pendant près de vingt ans, les relations extérieures de l’Angleterre, lord Palmerston avait été associé, durant un intervalle presque aussi considérable, au département de la guerre. L’école n’était pas très bonne pour la conduite des affaires internationales à une époque où, remise à peine d’une lutte désespérée, l’Europe entière ne demandait qu’une tranquillité définitive. Les habitudes de sa jeunesse, agissant sur un tempérament impérieux, violent, vindicatif et d’une activité fébrile, imprimèrent à une politique qui lui appartient presque en propre son caractère dominant. Le repos lui paraissait interdit, et il l’interdisait non moins formellement aux autres. Ne respirant que le conflit jusque dans les moindres détails de la vie internationale, il semblait avoir pris à tâche de justifier les imputations les plus exagérées contre l’action de l’Angleterre au dehors, de démentir ceux qui en auraient entrepris la défense. L’orgueil, le souci exclusif de ses intérêts, une prépotence excessive à l’égard des puissances faibles et sans défense, une affligeante absence de scrupules et parfois même de loyauté, tels sont les traits généralement reprochés alors à la politique extérieure de la Grande-Bretagne, et lord Palmerston paraissait s’appliquer avec une étrange persistance à les mettre chaque jour en relief. Sa longue expérience l’avait pénétré outre mesure de cette triste conviction, que la force permet tout, et que le succès justifie tout. Dès qu’il rentrait aux affaires, la moindre divergence devenait un différend qui, soigneusement exploité, dégénérait bientôt en querelle flagrante. Le ton ainsi donné dans toutes les cours, on voyait les représentans de l’Angleterre partout en conflit, soit avec les autorités constituées, soit avec leurs collègues, et plus ils manquaient aux bienséances reçues, plus ils étaient sûrs d’être approuvés. Les amis intimes de lord Palmerston citaient avec complaisance les légitimes émotions ainsi soulevées comme une preuve de l’influence exceptionnelle que l’Angleterre exerçait sous ses auspices ; mais c’était l’influence