Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/587

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Souvent la raison accepte ce que le raisonnement condamne. L’inexorable logique de l’esprit novateur a fait disparaître les derniers vestiges de l’ancien système électoral en Angleterre, et elle ne reviendra pas sur son arrêt ; mais le cours des siècles et les progrès apparens dont ils se glorifient n’ouvrent point toujours pour les nations une voie sans cesse ascendante de grandeur et de prestige. Le temps seul pourra démontrer si, plus heureuse que Rome, plus heureuse que Venise, l’Angleterre trouvera un profit sans mélange dans le déclin des influences aristocratiques sur la conduite de ses affaires. Sans doute, le système des bourgs fermés donnait lieu à quelques abus de la prépondérance des grandes familles. Telle était toutefois la sévère discipline des partis que plus souvent encore les sièges étaient réservés pour telle notabilité victime de l’inconstance populaire, trop convaincue et trop fière pour fléchir devant elle, ou pour telle jeune ambition dont la capacité naissante frappait les regards de tous ceux qui l’approchaient sans pouvoir prétendre encore s’imposer au public. L’équitable histoire dira quels furent les hommes que portèrent au pouvoir ces anomalies incontestables, ce qu’ils firent pour la grandeur de leur pays, à quel degré de puissance et de gloire il leur fut donné de l’élever. Un avenir encore éloigné pourra seul décider si, sous un régime dans lequel les preuves réclamées ne peuvent être fournies qu’à un âge où les forces vitales les plus précieuses pour le service de l’état sont déjà consumées, où les idées commerciales et économiques prévaudront dans ses conseils sur les altières traditions du passé, la patrie des deux Pitt saura maintenir tout le renom qu’ils ont acquis pour elle.

Nous avons quitté le jeune Palmerston, à vingt-deux ans, déjà membre du parlement comme du gouvernement qui, sous l’égide de mémoires vénérées, poursuivait à outrance la lutte contre la révolution française et son représentant couronné. Ses débuts oratoires ne se firent pas longtemps attendre, et ceux qui ont suivi de près sa carrière ne s’étonneront point que son premier effort ait été consacré à justifier, à préconiser même l’inique agression de l’Angleterre en 1807 contre Copenhague et la flotte danoise. Voici en quels termes familiers il rend compte de l’incident à une de ses sœurs : « Vous verrez par les journaux de ce matin que j’ai été tenté par quelque mauvais génie de donner la comédie pour mon compte hier soir à la chambre des communes. Il m’a semblé pourtant que l’occasion était bonne pour rompre la glace, au risque même de patauger quelque peu, car il était difficile de se compromettre beaucoup, tant la cause était bonne. Le discours de Canning est un des plus brillans et des plus persuasifs que j’aie encore