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réussiront d’autant mieux qu’ils seront parlans, car en matière d’instruction il faut savoir beaucoup pour enseigner un peu ; sous ce double rapport, l’aide ne manquera pas à ceux qui viendront la réclamer. Quoique les sourds-muets ne soient point aimables, on les aime dans leur institut, et quelques professeurs intelligens ont pour eux une commisération touchante. Il est fâcheux qu’il n’existe pas une sorte de société ayant son point de départ et de ralliement à l’institution même, qui serait chargée de surveiller le sourd-muet quand il a terminé son apprentissage et de le suivre dans la vie, où tant de difficultés l’attendent, où tant d’obstacles peuvent le jeter dans la misère. Une société s’est, il est vrai, fondée en 1850 : elle a été reconnue d’utilité publique par décret impérial du 16 mars 1870 ; mais elle est par-dessus tout société d’assistance, de bienfaisance. C’est un grand mérite de secourir les malades, de donner du pain à ceux qui en manquent et de faire l’aumône à ceux qui ont besoin, mais le mérite est peut-être supérieur de mettre un individu à même de gagner honorablement sa vie en exerçant le métier qu’on lui a enseigné. Réparer est bien, prévoir est mieux. Ne pourrait-on s’entendre avec les patrons et exercer conjointement avec eux une action décisive sur la destinée du sourd-muet, lui faciliter l’entrée de certains ateliers et le maintenir au rang d’homme en lui fournissant les moyens de se procurer le pain quotidien ? — Le groupe très bienfaisant qui s’est réuni pour porter secours aux sourds-muets s’appelle actuellement la Société centrale d’éducation et d’assistance ; si à ce dernier mot on substituait celui de patronage, on serait plus utile, et on atteindrait un but plus élevé.

Il y aurait lieu aussi de songer au sort des professeurs, car il n’est vraiment pas digne d’envie. Il faut beaucoup de dévoûment, de perspicacité, une patience sans égale, et parfois même une grande ténacité pour forcer, l’une après l’autre, toutes les barrières que l’infirmité a dressées entre l’enseignement et l’intelligence de ces écoliers d’une nature si particulièrement spéciale. Un professeur titulaire touche au début 2,400 francs par an, et de quatre années en quatre années voit son traitement augmenter jusqu’à un maximum infranchissable de 3,800 francs ; c’est dérisoire. Il semble que l’administration pèse un peu sur l’enseignement ; celui-ci devrait être plus libre, c’est par l’effort individuel encouragé que l’on arriverait à perfectionner des méthodes excellentes, et qui n’ont point encore dit leur dernier mot. À ce sujet, je regrette que l’on ne réunisse pas à la bibliothèque les diverses publications étrangères qui s’occupent des sourds-muets. Cela est de toute nécessité pour les professeurs, pour les administrateurs, qui de cette façon pourraient profiter des progrès accomplis ailleurs dans cette