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le dictionnaire indiqué, obligatoire, où la gravure, venant en aide à l’imprimerie, donnerait le sens de tous les mots par la figuration de l’objet ou de l’action, comme cela existe en Angleterre. C’est un hospice où l’on reçoit des enfans que le lymphatisme et l’anémie épuisent ; il y a une salle de bains, il est vrai, mais comment expliquer que l’on n’ait pas traité avec l’assistance publique pour avoir le droit d’envoyer les sourds-muets à l’établissement des bains de mer de Berck ? Ne sait-on pas qu’en fortifiant leur constitution, on raffermirait leur système nerveux affaibli, et que par ce seul fait on les rendrait moins violens, plus attentifs et plus intelligens ?

La maison est triste, et malgré ses deux cents habitans elle paraît solitaire ; on croirait volontiers que l’institution subit une crise, qu’elle n’est plus ce qu’elle était, qu’elle n’est pas encore ce qu’elle doit être. Elle paie en ce moment les erreurs passées, car il faut reconnaître que pendant longtemps on a fait fausse route. Au lieu de se contenter de donner aux sourds-muets de sérieuses notions élémentaires, on a voulu en faire des prodiges. Ils s’y sont prêtés dans une certaine mesure, entraînés par la vanité, qui est un de leurs caractères particuliers. On n’a obtenu que des résultats négatifs, et l’on a peut-être contribué ainsi à décourager l’intérêt public. On s’est acharné à les faire parler, ou, pour mieux dire, à leur faire prononcer des mots dont ils lisaient la forme visible sur les lèvres du professeur. Ce n’était guère là qu’un tour de passe-passe fait pour étonner les gens naïfs. Pour comprendre la parole, il ne suffit pas de la voir, il faut l’entendre : on est arrivé à former quelques perroquets humains qui ont pu répondre des phrases remarquables sur Dieu et sur les destinées de l’âme, mais ils ne les répondaient pas, ils les récitaient, car on les leur avait fait apprendre par cœur. L’abbé de l’Épée écrivait à l’abbé Sicard : « Ne vous flattez pas, mon cher ami, de pouvoir amener le sourd-muet à écrire de lui-même et spontanément ; il n’écrira jamais que de souvenir. » Ceci est bien plus vrai encore pour la parole que pour l’écriture.

On eut la manie de l’articulation, on l’eut jusqu’à la cruauté. Le malheureux enfant que l’on condamnait à suivre ces inflexions labiales qui ne sont que la forme extérieure, l’apparence de la parole, revenait malgré lui à son langage naturel, à celui qui naît de son infirmité même, à la mimique, car, avant d’essayer d’articuler, il traduisait en gestes, compréhensibles pour lui, les vocables qu’il avait regardés. On lui infligea alors un martyre réellement barbare ; on lui lia les pieds, on lui attacha les mains derrière le dos, et on n’arriva qu’à le dégoûter d’une méthode qui commençait par un supplice. Il y a quarante ans de cela, et il est inutile de nommer le