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surdi-mutité congénitale, dont le nerf auditif n’a jamais porté aucun son jusqu’au cerveau. Ils se dénoncent d’eux-mêmes ; leur tête mal conformée, leur front et leur menton fuyans, leurs oreilles très saillantes, les tics nerveux que beaucoup ne peuvent modérer, sont une sorte d’indication que l’animalité domine ; certes elle a été diminuée par l’enseignement, mais elle n’a pas été détruite, on la reconnaît aux gestes irréfléchis et à ces accès de colère qui semblent le résultat d’une impulsion irrésistible. De notre double origine, ces pauvres enfans ont surtout gardé souvenir de l’origine terrestre ; le souille divin ne les a pas touchés tout entiers. On sait combien il est facile de trouver des points de rapport entre le visage humain et la tête de certains animaux ; c’est là un élément comique dont la caricature a souvent tiré bon parti. Chez les sourds-muets de naissance cette similitude pénible s’accentue parfois d’une façon extraordinaire : ils ont des figures de lièvre, de singe, de taureau ; parfois avec leur nez crochu et leurs gros yeux arrondis, avec les mouvemens rapides de leur tête qui paraît pivoter sur les vertèbres de leur cou engoncé, ils ont l’air d’énormes chouettes. Là, il y a plus que la surdité, il y a, je le crains, lésion des facultés de l’entendement : ils ne sont pas seulement infirmes, ils sont malades ; l’intelligence, aussi incomplète que les sens, semble ne plus être que de l’instinct. On redouble d’efforts envers eux, efforts stériles qu’on renouvelle sans cesse avec un dévoûment dont on ne saurait trop faire l’éloge. L’obstacle n’est pas dans la surdi-mutité ; ces êtres chétifs auraient beau entendre et parler, ils n’acquerraient jamais un développement que leur construction vicieuse repousse à jamais loin d’eux. Dans ce cas, la surdi-mutité n’est pas une cause, elle est un effet, et si le nerf acoustique est paralysé, c’est que la cervelle ne vaut guère mieux. Rentreront-ils jamais dans l’humanité ? On peut en douter et croire qu’ils resteront toujours sur le seuil. Tous ne sont point ainsi, je me hâte de le dire ; parmi eux, on rencontre des exceptions qu’il est juste de signaler ; mais cette impression m’a saisi très vivement, et, malgré mes efforts, je n’ai pu m’y soustraire.

Selon qu’on se trouve en présence des uns ou des autres, l’impression varie, et l’on penche alternativement vers l’opinion des optimistes et vers celle des pessimistes. Il n’en serait point ainsi, et l’institution y gagnerait singulièrement, si l’on n’y admettait que des enfans aptes à recevoir un enseignement rationnel et normal. Au lieu d’en faire une sorte de lieu de refuge destiné à recueillir des enfans infirmes, souvent grossiers, parfois vicieux, on aurait pu constituer là un institut modèle qui eût attiré les sourds-muets riches, dont la présence, tout en dégrevant le petit budget spécial, aurait imprimé à l’établissement une activité sérieuse et en quelque