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I

L’art de parler à l’aide de signes a dû exister de tout temps. Des hommes de langue différente, mis face à face par le hasard de la vie, ont pu toujours exprimer des propositions simples et se faire comprendre en exécutant certains gestes indicatifs ; c’est la mimique. En outre, lorsque des enfans ont été réunis sous la discipline d’une règle silencieuse, ils ont cherché un moyen de causer à distance sans faire de bruit, et ils ont inventé un alphabet visible dont chaque lettre est représentée par un geste particulier des doigts, c’est la dactylologie ; nous l’avons tous « parlée » au collège. La combinaison raisonnée de la dactylologie et de la mimique constitue le langage des sourds-muets. Ce langage artificiel est un bienfait inappréciable pour ces infortunés, car il leur permet de communiquer méthodiquement entre eux, et, comme il sert de base à l’enseignement de l’écriture et de la lecture, il leur fournit un instrument de relation avec les autres hommes. C’est grâce à lui que le sourd-muet échappe à l’isolement, et qu’il peut, dans une mesure, participer à la vie générale jusqu’à subvenir aux besoins de sa propre existence.

Avant l’apostolat de l’abbé de l’Epée, on trouve trace dans l’histoire de quelques efforts individuels qui semblent avoir eu pour but plutôt de frapper l’imagination publique que d’appeler toute une catégorie d’individus déshérités à la jouissance des droits communs. Rodolphe Agricola, professeur de philosophie à Heidelberg (1480), raconte dans son livre de Inventione dialectica qu’il a connu un sourd-muet qui lisait et écrivait. Jérôme Cardan (1591) pose dans ses Paralipomènes la question de savoir si l’on peut instruire les sourds-muets, et la résout affirmativement. Le bénédictin Pedro de Ponce (1580) publie une méthode pour leur instruction ; ses idées sont reprises par J. Bonnet, secrétaire du connétable de Castille, qui fait paraître en 1610 l’Arte para enseñar a hablar los mudos. Dans le XVIIe siècle, Fabrizio d’Acquapendente, professeur à Padoue, les Anglais Bulwer, J. Wallis, W. Holder, le Hollandais van Helmont, Conrad Amman de Schaffouse, s’occupent de ce sujet et formulent des théories que la pratique ne justifie pas : leur principe paraît avoir été de forcer les sourds-muets d’articuler des sons ; le livre de van Helmont est intitulé Surdus loquens (1692). G. Raphel, en Allemagne, élève et instruit ses trois enfans frappés de surdimutité, et publie en 1718 la méthode qu’il a employée. Il est difficile de savoir jusqu’où furent poussées ces tentatives isolées, qui