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ainsi que le but de l’expédition annoncée contre Khiva. En même temps, il offrit de reprendre les négociations engagées par le ministère précédent pour arriver à une délimitation de frontière, et à la création d’une zone neutre qui pourrait, à l’avenir, prévenir les conflits. Si lord Granville, au nom du cabinet anglais, avait voulu préciser les griefs et provoquer une discussion définitive, il aurait dû serrer la question de plus près, notamment exiger que la Russie cessât de donner asile et de payer des subsides aux princes afghans qui n’ont pas accepté le compromis stipulé entre Chir-Ali et lord Mayo, demander quelques explications sur les postes que la Russie a établis à Krasnovodsk et à Tchekrichlar, sur la côte orientale de la mer Caspienne, postes dont la création doit avoir un tout autre objet qu’une simple campagne contre Khiva. Bref, il y avait, dans ce dossier que M. Gladstone avait laissé grossir depuis trois ans, une série de questions à éclaircir et à résoudre. La correspondance échangée entre lord Granville et le comte Schouvalof se garde bien d’y toucher. Il semble même que le diplomate russe ait eu quelque pitié bienveillante pour le ministère anglais, qu’il voyait aux prises avec l’opinion publique ; il a promis, pour rassurer le parlement et les Anglais, que l’expédition contre Khiva ne se composerait que de quatre bataillons et demi, et que cette petite troupe se retirerait de Khiva aussitôt après avoir infligé au khan le châtiment qu’il mérite ; il a offert de laisser à l’Afghanistan, allié et tributaire de l’Angleterre, une province, celle de Bedakhchan, qui n’appartient à personne, ni à la Russie, ni à l’Angleterre, ni aux Afghans, et qui ne contient que des montagnes séparées par d’incultes vallées de sables. Ces assurances, ces engagemens, ces dons n’ont en eux-mêmes aucune valeur ; mais ils sont destinés à fournir à lord Granville de beaux argumens devant le parlement, à tirer le ministère de M. Gladstone d’une situation épineuse et à endormir l’opinion publique. Entre gouvernemens alliés, on se doit de tels services. Le cabinet de Saint-Pétersbourg laisse volontiers au cabinet anglais l’apparence d’une sorte de victoire diplomatique, pourvu qu’il conserve en réalité les coudées franches dans les manœuvres de sa politique asiatique.

Lorsque les Russes seront entrés à Khiva, nous verrons quand et à quelles conditions ils en sortiront. Ce sera le plus sûr commentaire des négociations qui se sont récemment poursuivies entre les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Saint-James.


ARMINIUS VAMBERY.


C. BULOZ