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relation de mon voyage, et je n’ai plus à retracer les tribulations et les souffrances réservées au voyageur qui s’aventure au milieu de ces affreuses contrées. Croirait-on cependant que certains politiques russes, de faciles rêveurs qui du fond de leur cabinet à Saint-Pétersbourg entreprennent la conquête de l’Asie centrale pour la plus grande gloire des tsars, avaient imaginé de lancer un chemin de fer à travers les steppes, des monts Balkans aux rives de l’Oxus ! Quand ce beau projet fît son apparition, — il y a environ trois ans, — je crus devoir en dire ma façon de penser et déclarer qu’il était ridicule. Toute la presse moscovite se déchaîna contre moi. J’avais eu l’audace d’exprimer un doute sur la puissance de la sainte Russie ! Fort heureusement la récente expédition scientifique de MM. Stebnitski et Radde a confirmé mon témoignage : ces savans, partis du fort Krasnovodsk, ont pénétré assez loin dans l’intérieur des steppes, et leur rapport non suspect a mis à néant le projet de voie ferrée.

Je viens d’indiquer avec des détails géographiques qui ont peut-être semblé trop arides, mais que mon voyage dans ces régions m’a permis de rendre plus précis, les diverses routes qui aboutissent à Khiva, j’ai décrit en même temps les obstacles de toute nature qui rendent cette région à peine abordable. Il paraît toutefois certain que le gouvernement russe, après avoir successivement avancé ses stations et ses forts jusque sur la frontière, est décidé à pénétrer sur le territoire du khanat et à frapper au cœur ce peuple, ou plutôt cette peuplade, qui, se croyant abritée par ses déserts, l’a si longtemps bravé. Les préparatifs ont été faits avec un soin et une patience qui, en dépit des difficultés, donnent lieu de compter sur le succès de l’expédition. Selon toute apparence, le khanat sera envahi par trois côtés à la fois. L’attaque principale partira du fort n° 1, et suivra la rive orientale du lac d’Aral : c’est la voie la moins pénible ; les deux autres points d’attaque seront à la ligne de fortification sur le cours inférieur de l’Emba et à Krasnovodsk sur la côte orientale de la mer Caspienne. Le printemps est la saison la plus convenable pour la traversée des steppes ; l’herbe nouvelle est assez épaisse pour donner des fourrages suffisans, les fondrières creusées dans le terrain argileux contiennent encore des mares d’eau qui proviennent des pluies de l’hiver ou de la fonte des neiges, enfin les ouragans sont moins à craindre. Quant aux opérations militaires, il n’est pas probable que les Khiviens osent risquer une bataille rangée, leur tactique ne peut consister que dans une guerre d’escarmouches ; ils lanceront dans le désert leurs colonnes mobiles qui tenteront des coups de surprise sur les flancs de l’armée ennemie, sur les détachemens isolés et sur les convois. Le jour où, après avoir franchi les steppes, l’expédition russe aura gagné les régions cultivées et enlevé les premiers villages, Khiva sera complètement sans défense, et le khan n’aura plus qu’à faire sa soumission.

Dans la correspondance diplomatique échangée récemment entre lord