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travailler dans les petites fabriques du pays. Il est probable que ce chiffre n’a point diminué, car le marché des esclaves est toujours très actif. Plus d’une fois le gouvernement de Téhéran a menacé de demander compte au khanat des déprédations qu’il protège ou qu’il tolère ; il a projeté des expéditions et commencé quelques armemens. Il n’a jamais eu la force d’aller jusqu’au bout, mais son ressentiment contre Khiva n’en est que plus vif. Quant à la Boukharie, elle a également à se plaindre des incursions auxquelles se livrent sur son territoire les tribus khiviennes ; ses émirs en sont réduits à une guerre d’escarmouches, qui n’a d’autre effet que de perpétuer l’animosité séculaire entre les deux pays sans réprimer le brigandage. Une seule puissance peut agir efficacement contre Khiva, c’est la Russie.

Maîtresse d’une partie de l’Asie centrale, la Russie a toujours considéré que l’indépendance de Khiva, indépendance qui ne se maintient que dans le désordre et par le pillage, est une disgrâce pour elle, un défi, presque un péril. Elle ne peut conserver son influence dans ces régions qu’en y exerçant une sorte de police et en protégeant contre les incursions khiviennes les populations qui lui sont plus ou moins directement soumises. En outre le khanat est devenu le refuge des tribus kasaks qui occupent les environs de la mer Caspienne, et qui se mettent fréquemment en révolte contre le gouvernement russe. Bien que les droits de ce gouvernement, sur les Kasaks et sur la plupart des autres tribus des steppes soient fort contestables, l’hospitalité bienveillante dont jouissent à Khiva les fugitifs et les prétendus rebelles est très mal vue par la Russie. Enfin il n’est pas douteux que le commerce européen, c’est-à-dire le commerce russe, dans une partie de l’Asie centrale est entravé par la détestable administration de Khiva. La Russie veut y mettre ordre. Son intérêt, comme sa dignité, lui conseille de ne point se laisser braver par un état aussi faible. Elle assure d’ailleurs qu’elle prend en main la cause de la civilisation européenne contre l’insolent exclusivisme de la doctrine asiatique, doctrine que les gens de Khiva aiment à répéter : « à nous, le droit d’aller sur vos terres avec nos caravanes, d’y porter nos marchandises, d’en tirer vos produits ; à vous, défense de mettre le pied sur notre sol ; sinon, vous êtes les fils de la mort ! » La Russie, qui a besoin de conserver et d’étendre son influence en Asie, n’est pas d’humeur à subir ces ridicules sommations.

Dans les premiers temps, alors que la Russie n’avait pas encore porté son drapeau dans le Samarkand et dans le Krasnovodsk, les khans de Khiva ne s’inquiétaient guère des menaces du tsar. Ils accueillaient les envoyés russes avec une apparente courtoisie, leur faisaient mille promesses, sauf à n’en tenir aucune, et s’engageaient très facilement à contenir les pillards de la frontière. Au fond de leurs déserts, ils se croyaient suffisamment garantis contre toute attaque. Depuis que la domination russe s’est rapprochée par la conquête et par les entreprises