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1er juin. Que reste-t-il dans cet intervalle de près de trois mois ? Le gouvernement plus ou moins omnipotent, plus ou moins ballotté d’une république qui ne sait pas elle-même ce qu’elle sera. Voilà la vérité des choses !

Le parti républicain reste donc seul maître de la situation après ces dernières crises. C’est là justement pour lui le danger. Que peut-il faire ? S’il se rapproche des classes conservatrices dans un intérêt d’ordre public, il est exposé à provoquer toute sorte de manifestations fédérales, de sécessions anarchiques, de résistances à main armée. S’il donne des gages à ses amis les républicains de toutes les nuances, il risque fort de jeter aussitôt dans une hostilité déclarée et peut-être active toutes les opinions modérées, tous les intérêts conservateurs. S’il ne fait rien, il met tout le monde contre lui. Pendant ce temps, l’insurrection carliste profite de la confusion pour s’étendre et s’organiser. En Catalogne elle gagne chaque jour du terrain, et on en est réduit à ne plus même la combattre pour le moment. En Navarre et dans les provinces basques elle coupe les télégraphes et les chemins de fer, si bien que les relations entre l’Espagne et la France n’ont plus rien de régulier. Les carlistes ont leur quartier-général, leurs postes dont ils sont maîtres. L’autre jour, à Madrid même, il s’est formé une bande qui est allée tenir la campagne, et ce qu’il y a de plus dangereusement significatif, c’est que dans cette bande il y avait d’assez nombreux déserteurs de l’armée régulière. L’armée en est là, elle est démoralisée et ne sait plus sous quel drapeau elle marche. Les bataillons se débandent et refusent de marcher contre les carlistes, on l’a vu sur certains points. Le général qui commande en Catalogne a renvoyé récemment une multitude d’officiers dont il se croyait sans doute peu sûr. Le gouvernement a demandé aux cortès les moyens nécessaires pour lever 45,000 volontaires. Il fera sa levée s’il peut, et il est fort à craindre que ces volontaires, suivant leur nom, ne fassent que ce qu’ils voudront. Jusqu’ici l’impuissance militaire semble complète à Madrid.

On a fait dernièrement un certain bruit de l’adhésion de quelques-uns des anciens chefs de l’armée, du général Serrano, du général Concha, qui auraient offert leur épée. Ce n’est point impossible assurément que des chefs militaires qui ont eu de l’autorité sur les troupes aient fait offre de leurs services dans une telle crise où s’agitent les destinées de leur pays. Le fait est qu’ils ne figurent encore nulle part, à aucun titre, et le gouvernement reste seul avec une armée qui se décompose, avec son projet de lever des volontaires, avec des moyens d’action qui diminuent chaque jour, en face de cette insurrection carliste qui n’aurait aucune chance de succès, qui ne serait même pas sérieusement redoutable, si elle trouvait devant elle toutes les forces libérales et conservatrices de l’Espagne unies sous un même drapeau. Voilà la situation au milieu de laquelle se débat cette nation espagnole qui,