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Le peuple japonais a de grands élémens de force et de vitalité. L’aristocratie est fière, courageuse, pénétrée de respect pour ses ancêtres. L’ouvrier et le paysan sont robustes et vifs. La race n’est pas flétrie par les travaux excessifs et l’atmosphère malsaine de la vie des manufactures. La polygamie n’existe point au Japon. Si le divorce y est facile, l’adultère y est rare. L’instruction publique est très répandue. Presque tout le monde sait lire et écrire, et il y a des écoles jusque dans les plus petits villages. Un peuple de cette intelligence doit nécessairement comprendre les avantages de la civilisation européenne, surtout depuis que, dans notre propagande, il a vu succéder aux moyens matériels les moyens moraux, à la guerre le commerce, à l’intimidation la persuasion. Ce qui nous guide vers cette contrée si longtemps mystérieuse, ce n’est pas l’esprit de conquête, c’est la recherche d’un vaste champ de travail. Le gouvernement du mikado commence à s’en convaincre, et c’est là ce qui le rapproche de nous. Cette conviction, nous devons tout faire pour l’affermir et pour la rendre inébranlable. Il faut nous montrer au peuple japonais sous un aspect sympathique, bienveillant, amical ; il faut lui persuader qu’entre nos intérêts et les siens il y a non point antagonisme, mais solidarité. Il faut qu’après avoir fécondé le Nouveau-Monde sur son passage, la civilisation, que l’Europe a reçue d’Asie, retourne à son berceau, fortifiée, enrichie de toutes les découvertes modernes. Après nous être fait craindre, il faut tâcher de nous faire aimer. Nous devons savoir gré au mikado d’avoir compris que le prestige d’une nation comme la France ne se détruit pas en un jour, et que nos désastres ne seront que momentanés. De notre côté, nous devons encourager le gouvernement japonais dans la politique réformatrice qu’il s’attache à faire prévaloir. Espérons que le goût qu’il témoigne pour les institutions et les progrès des nations de l’Europe ne sera pas une simple mode ou un engouement passager, et que le pays, trouvant son avantage dans la politique récemment inaugurée, se l’appropriera d’une manière permanente et définitive. Ainsi tombent une à une les barrières qui s’étaient élevées autour de nos comptoirs le lendemain de leur création. Les chemins de fer et les paquebots, la vapeur et l’électricité auront raison peu à peu de l’esprit d’exclusion ou d’intolérance qui gêna pendant tant de siècles les rapports réciproques des différens pays, et les peuples de l’extrême Orient, eux aussi, comprendront peut-être un jour la vérité du principe ainsi formulé par Vattel : la première loi générale est que chaque nation doit contribuer au bonheur et à la perfection des autres.