Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire en sorte que les dépenses militaires ne pussent à l’avenir excéder la somme actuellement inscrite au budget. L’amendement des progressistes était encore plus radical. On mettait le chancelier en demeure de couvrir, par une augmentation du nombre des congés, le surcroît de charges annoncé par le gouvernement. Toute réforme nouvelle devait être ajournée, si elle avait pour résultat d’élever le budget de la guerre au-delà du chiffre normal. Dans le cas où les circonstances exigeraient impérieusement une dépense extraordinaire, il était recommandé d’y pourvoir, soit en diminuant l’effectif de présence en temps de paix, soit en réduisant de trois à deux ans la durée du service dans les régimens d’infanterie.

Les commissaires du gouvernement, — on le devine, — firent à ces idées une vive opposition. Néanmoins ils annoncèrent l’intention de déposer un projet de loi qui rendrait applicable aux années 1873 et 1874 le budget présenté pour 1872 ; toute augmentation serait ainsi écartée pendant trois ans, et, quelque pénible que fût cette condition pour l’empereur, il n’hésitait point à faire un sacrifice pour éviter jusqu’à l’apparence d’un conflit avec la représentation nationale. Cette concession ne désarma personne, et les orateurs de l’opposition insistèrent sur ce point, que l’adoption d’un budget triennal assurerait un minimum à l’administration, sans empêcher les demandes de crédits supplémentaires pour des faits accomplis à l’insu du parlement, que le ministère serait d’autant plus à l’aise pour enfler ses dépenses qu’il pourrait toujours invoquer les nécessités d’une réorganisation militaire dont le Reichstag ne savait rien ou presque rien, que le moment était venu pour les représentans de la nation d’entrer dans la voie constitutionnelle en réglant le budget année par année, et qu’ils n’avaient point le droit de lier leurs successeurs en statuant pour une période de trois ans, alors que leur mandat expirait avant ce terme. Si les assemblées politiques étaient faites pour écouter les conseils de la raison et du bon sens, l’opposition eût obtenu en cette circonstance un facile triomphe. Son argumentation était irréfutable, et ses craintes à l’endroit d’un accroissement de dépenses ont été justifiées depuis par les événemens. Le ministère résolut de faire face au danger en appelant à son secours la stratégie des grandes journées parlementaires, la passion et la peur. M. de Roon, ministre de la guerre, s’efforça d’abord de prouver que le gouvernement renonçait à une prérogative essentielle en acceptant ce même système de budget à longue échéance qu’il avait jadis imposé avec tant d’éclat aux chambres prussiennes. Malgré l’habileté de son discours, la victoire du gouvernement demeurait incertaine. C’est alors que le ministre d’état président de la chancellerie crut devoir évoquer le spectre