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certainement une des révolutions morales les plus curieuses de notre époque. Les vieilles murailles s’abaissent, non plus sous les coups du canon, mais sous l’action puissante des intérêts et du commerce. A des antipathies traditionnelles et séculaires, on voit succéder dans l’empire japonais une sorte d’engouement pour les coutumes étrangères, et la civilisation européenne semble maintenant inspirer à cette race intelligente et industrieuse autant de sympathie qu’elle y excitait autrefois de répulsion. Il n’y a pas vingt ans que le Japon était encore le dernier pays inexploré de l’extrême Orient, que ses côtes inhospitalières, semées d’écueils, éloignaient les navires, que, lorsqu’un bâtiment de guerre ou de commerce s’aventurait à venir mouiller sur une des rades japonaises, une flottille d’embarcations armées l’entourait sur-le-champ d’un cordon sanitaire, les canons de batteries menaçantes étaient braqués sur lui, et des officiers venaient à bord notifier les décrets impériaux qui, depuis des siècles, fermaient le pays aux étrangers. Yokohama n’existait point avant 1858 ; il n’y eut là d’abord qu’un village, une agglomération de quelques cabanes de pêcheurs sur un terrain marécageux. Voici que cette bourgade est devenue en quelques années une grande ville de 80 à 100,000 âmes, où près de 2,000 étrangers se livrent à un commerce aussi profitable à eux-mêmes qu’aux divers pays dont ils sont originaires. Il y a vingt ans, les transactions entre le Japon et l’étranger étaient à peu près nulles, et voici que les échanges se sont élevés au chiffre de 200 millions par an, chiffre dans lequel le commerce français figure pour plus de 60 millions. Le moment est venu pour l’Europe d’étudier dans tous leurs détails l’organisation intérieure, les ressources, les besoins des pays de l’extrême Orient. C’est pour elle le moyen de se tracer à leur égard une ligne de conduite rationnelle et de développer par les voies pacifiques les progrès qu’elle n’avait dus d’abord qu’à l’intimidation et à la force des armes. La Revue a déjà publié de nombreux travaux sur le Japon ; elle en a retracé la physionomie générale[1]. Les études de M. Layrle[2] et de M. Roussin[3] ont fait connaître les heureux efforts de nos stations navales et les événemens qui ont fini par amener la suppression de l’autorité taïcounale et le système de centralisation fortement établi par le gouvernement du mikado. Cet événement décisif, dont les conséquences se sont produites si rapidement, a été l’inauguration d’une politique qu’il importe d’examiner dans ses origines, dans ses développemens et dans ses résultats.

  1. Voyez Un voyage autour du Japon, par M. R. Lindau, dans les livraisons des 1er mai, 1er juillet, 1er août, 1er septembre et 15 octobre 1863.
  2. Voyez la Revue des 1er  et 15 février 1868.
  3. Voyez la Revue du 1er mars et du 15 octobre 1865 et du 1er avril 1869.