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chrétienté. On acheta un évêché comme on achète aujourd’hui une charge de notaire.

Telle était la situation à l’avènement de la maison de Franconie au trône impérial, en 1024. La simonie était le fléau de l’église ; de l’Italie, elle se répandit en Allemagne et partout. Le dernier des Ottons et Henri le Saint eurent la main trop faible pour la réprimer ; la pratique en devint universelle. Les premiers Franconiens avaient la main forte, ils pouvaient remédier au mal, étant d’accord avec le saint-siège ; mais Conrad III n’eut que des intentions : il était trop affairé en Allemagne par l’établissement de sa dynastie pour se laisser détourner à des réformes difficiles et même à celles de l’église romaine. Son fils Henri III, plus heureusement placé, porta vers l’un et l’autre objet l’attention d’un esprit vigoureux et droit, car les choses de l’église avaient alors une importance politique dont on se rend difficilement un compte exact aujourd’hui. En ce faisant, non-seulement l’empereur agissait en habile politique, il agissait encore en souverain armé de la force des lois. Il était évêque extérieur et plus encore, d’après les décrets d’Adrien Ier et de Léon VIII, et l’intérêt de l’état exigeait son intervention. En effet, le relâchement de la discipline religieuse n’avait plus de limite ; de la simonie, le sacerdoce passait au concubinat. La plupart des évêques et une bonne part du clergé séculier donnaient cet exemple déplorable. Au Xe siècle, la corruption était à Rome plutôt que dans l’épiscopat ; on se souvient du langage de l’évêque, d’Orléans au synode de Saint-Basle. Au XIe siècle, la régularité se rétablissait à Rome, mais la corruption avait pénétré dans les degrés inférieurs de la hiérarchie. L’Allemagne et l’Italie en étaient le plus infectées en Europe. L’administration de Henri III est sous ce rapport un modèle de sagesse, de prévoyance et de fermeté. Ce prince éclairé avait compris son temps et son intérêt. Notre époque est travaillée à cet égard de bien des chimères que ne partage point la masse des populations, la philosophie étant une vertu privée et non une condition sociale. Le désintéressement de l’état en matière de religion est un appel à une révolution religieuse, et l’état ne peut qu’y perdre, à moins qu’il ne fasse lui-même la révolution.

Ces maximes n’auraient pu être politiquement contestées au XIe siècle. L’esprit religieux était l’esprit général du temps, l’objet de toutes les préoccupations, et non-seulement toute force sociale en émanait, mais le destin de la civilisation en dépendait, car c’était l’unique correctif de la violence féodale et militaire qui débordait partout. Dans l’église d’ailleurs étaient alors les lumières de l’esprit humain, et l’organisation ecclésiastique concentrait en ses mains toutes les ressources morales de la société. L’église apparaissait en tout et partout, et les armées nombreuses de l’ordre monastique