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papale, qui jadis était l’attribut de la municipalité romaine et du clergé, sous l’approbation ou confirmation impériale, comme on le voit dans les annales d’Éginhard et dans le continuateur de Paul Diacre[1].

Les scandales inouïs dont la dépravation féodale a souillé la papauté, les déportemens de tout genre dont Rome a été le théâtre à cette époque et qui se sont prolongés pendant trois quarts de siècle, sont connus de tout le monde : ils sont écrits partout, et ma plume se refuse à les écrire encore. Sans recourir à Baronius, qui n’a pu ni voulu les voiler, un simple coup d’œil sur les notices des papes du monument bénédictin de l’Art de vérifier les dates, ou mieux encore le tableau indigné que la vérité arrache à l’impartialité de M. Mignet[2], en fourniront le récit aux curieux. M. Villemain en a retracé les principaux détails avec l’accent éloquent de l’honnêteté révoltée. La dissolution de la Rome des césars n’a pas donné le spectacle de plus odieux débordemens que la Rome des papes du Xe siècle. Si quelques âmes timorées sont affligées de ces paroles, ceux qui savent les choses me trouveront prudent et réservé de n’en pas dire davantage. On se demande comment la papauté a pu survivre à une telle crise, et la grande image de durée par laquelle Macaulay a exprimé la vitalité de cette institution se présente spontanément à l’esprit. Le péril que courait la papauté n’a point échappé aux contemporains : aussi, lorsqu’à la fin de ce Xe siècle s’assembla dans les Gaules le concile célèbre de Saint-Basle près Reims, convoqué pour juger un prélat accusé de prévarication, en présence des deux rois Hugues Capet et Robert, un évêque éloquent et irréprochable, celui d’Orléans, s’écriait douloureusement :

« Oh ! déplorable Rome, qui, après avoir éclairé nos aïeux de la lumière des saints pères, as versé sur nos temps agités de noires ténèbres qui seront diffamées dans les siècles à venir ! nous avons appris qu’il exista jadis sur ton siège des Léon, des Grégoire, des Gélase, des Innocent. Elle est longue, la suite de tes pontifes qui remplirent l’univers de leur doctrine, et c’est avec justice que l’église universelle était confiée à la direction de tels hommes qui, par leur science et leur vertu, surpassaient tous les mortels, et cependant, même à une si heureuse époque, le privilège de la suprématie te fut contesté par les évêques d’Afrique, redoutant, je le crois, les misères que nous souffrons aujourd’hui, — car que n’avons-nous pas vu dans ces derniers ans ? Nous avons vu Jean Octavien, vautré dans le bourbier de la débauche[3] ;… des dynasties de femmes

  1. Voyez aussi la constitution d’Adrien Ier, dans le Décret de Gratien, dist. L. XIII. c. 22.
  2. Voyez le Journal des Savans, janvier 1871.
  3. « Vidimus Johannem, cognomento Octavianum, in volutabro libidinum versatum. » Voyez les actes du concile de Saint-Basle dans les œuvres de Gerbert, édit. de M. Olleris, in-4o, p. 173 à 236 (1867), et dans la collection de M. Pertz, t. III, p. 658.