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est même devenu plus ardent et plus acharné, après la mort de Grégoire VII, qu’il ne l’était de son vivant. Les grandes misères d’Henri IV sont postérieures à 1085 ; mais la pensée, les ordres, la résolution de Grégoire VII, dominent tous les événemens ; ses successeurs ne reculent devant aucune extrémité. Grégoire est incomplet, si on le sépare de la principale conclusion de son entreprise, qui est l’émancipation de la papauté ; or l’affranchissement n’est obtenu qu’à l’extinction de la maison de Franconie. La transition de la liberté à la domination est à la vérité dans le programme, mais elle marque une autre phase de la lutte, tout en s’enchaînant avec elle. L’histoire spéciale de Grégoire VII commence donc nécessairement à l’époque où le moine Hildebrand part de Cluny ou de Worms avec le pape Léon IX, en 1049, et se prolonge jusqu’au premier quart du siècle suivant. Telle est la carrière à parcourir pour arriver seulement au dénoûment du premier acte de ce grand drame.

Mais, avant de prendre la voie qui nous y mène, il faut connaître quelle était la condition de la papauté antérieurement à cette époque, afin d’apprécier la profondeur de l’abîme d’où Grégoire VII a retiré l’église et le pontificat. Il est juste pourtant d’avouer, ce qu’on a trop oublié de constater, que l’empire avait été le premier sauveur de la papauté. Sans parler de l’empire franc, qui, dans la personne de Charlemagne, a délivré les pontifes romains de la tyrannie lombarde et du joug de l’arianisme italien en assurant au saint-siège une indépendance protégée[1] par l’empire, la papauté a été redevable aux Ottons d’être purgée des abominables souillures dont l’avaient couverte les factions féodales des comtes de Tusculum et autres châtelains établis dans les quartiers fortifiés de la Rome des césars ou dans sa banlieue. Les désordres commencent à l’époque où décline et s’éteint la descendance masculine de Charlemagne sur le trône de l’empire. Pendant cette période de désorganisation où tout a tourné au fief, resté la seule garantie d’ordre social au milieu de la décomposition de la société carlovingienne, le démembrement féodal, que n’avait pu empêcher ni maîtriser la maison de Spolète, héritière nominale de l’empire, fit passer la papauté de la protection canonique des empereurs à la sujétion des petits dominateurs seigneuriaux de la campagne romaine[2]. La papauté comme l’épiscopat tombèrent en régime féodal, et les feudataires latins exploitèrent comme un fief l’élection

  1. Voyez les lettres 77 et suiv. d’Adrien Ier dans les Monumenta carolina de Jaffé.
  2. L’histoire des comtes de Tusculum et des Crescenzi est encore à faire. Le Vatican en recèle les matériaux inédits. Cependant Gregorovius en a donné les élémens principaux. Voyez sa Gesch. der Stadt Rom, t. III. — Cf. aussi les Memorie istoriche dell ’ antico Tuscolo, da Dom Barn. Mattei ; Roma, 1711, in-4o