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pourtant abandonné la poursuite : entraîné pendant plus de dix ans dans le mouvement actif de la vie parlementaire et des agitations ministérielles, il n’en a pas moins continué ses recherches et ses travaux historiques, souvent interrompus, toujours repris avec un constant attachement. Il avait presque terminé sa grande composition lorsqu’il daigna m’en montrer le manuscrit en 1843 et me demanda mon impression, — non que son esprit supérieur eût besoin de mes humbles avis, mais parce qu’une vague incertitude planait encore dans ses informations et résolutions sur certains points demeurés obscurs à ses yeux. Depuis sa retraite du monde politique en 1845 jusqu’à sa mort, il n’a cessé d’élaborer son ouvrage, remis vingt fois sur le métier ; il en donna même quelques extraits dans la Revue, entre autres le récit du célèbre et dramatique enlèvement du pape Grégoire VII dans la nuit du 25 décembre 1075[1]. Il a lu maintes fois des fragmens de son œuvre dans le sein de l’Académie française, et M. Mîgnet, en 1861, annonçait dans le Journal des Savans la prochaine publication de ce livre tant attendu.

Mais ce qu’il apprenait à chaque instant de publications sur le même sujet, qu’il ne pouvait plus facilement contrôler, lui donnait sérieusement à penser. Il avait étudié à fond les sources qui étaient à sa disposition. Toutefois il avait suivi, à travers les préoccupations politiques et d’un regard presque inquiet, la rénovation dont la science historique était l’objet en France et surtout en Allemagne, et une certaine hésitation scientifique augmentait l’indécision qui lui était presque naturelle. La perfection littéraire, à laquelle il était si sensible, ne le consolait donc pas de ce qui semblait manquer aux instrumens de son travail. S’il avait pu se faire une idée juste de la valeur de l’ouvrage de Voigt, il n’a pas été aussi favorisé en ce qui touche les œuvres capitales de Gfrörer et de Giesebrecht, sans compter une foule de productions secondaires qui sont d’une certaine considération pour des détails particuliers.

Les savantes et décisives recherches de Giesebrecht sur le Registrum de Grégoire VII ont tranché la question, douteuse pour les savans qui l’avaient précédé et pour M. Villemain après eux, relativement à l’authenticité du célèbre Dictatus. Les maximes qui composent le Dictatus se retrouvent dans la correspondance du pontife, mais la composition isolée de ces pages fameuses n’est pas de Grégoire VII. Une autre œuvre de Giesebrecht a non moins d’importance, je veux parler de son essai de restitution des vieilles annales perdues de la célèbre abbaye bavaroise d’Altaha, celles qui sont arrivées jusqu’à nous ne datant que du XIIIe siècle. Il est regrettable que M. Pertz et M. Jaffé, qui après M. Böhmer nous ont donné les

  1. Voyez ; la Revue du 1er octobre 1833.