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de Grégoire VII et d’Henri IV. Quelque intérêt politique du moment n’était peut-être aussi pas étranger au choix de l’objet d’étude promis au public. Les données générales de M. Villemain en cette matière étaient plutôt alors celles de M. Daunou que celles d’une autre école historique qui, plus libre en ses allures, mieux instruite du fond des choses, plus dégagée envers un passé qui n’est plus à craindre, ouvrait à l’esprit du XIXe siècle, soit en France, soit en Allemagne, des horizons nouveaux sur l’histoire des siècles écoulés. Quelques lumières qu’il ait acquises plus tard par une étude persistante et approfondie, son esprit, pourtant si souple, si vif, si indépendant, n’a pu se détacher complètement de ces premières impressions, dont la trace subsiste dans le bel ouvrage que nous avons sous les yeux, et qui d’ailleurs en France ont été celles de plusieurs générations d’érudits, de publicistes et d’historiens, depuis les temps reculés jusqu’à nos jours.

Des notions plus exactes et plus vraies sur l’histoire de Grégoire VII datent en Allemagne de la publication du livre de Voigt (1815) ; elles datent chez nous du cours célèbre de M. Guizot, en 1828. Il faut juger l’ouvrage de Voigt par l’original allemand et non par la traduction qui l’a familiarisé dès 1837 avec le public français. Voigt est un historien sincère, dont la vue n’est pas toujours complète, mais dont l’intention est toujours droite et la direction historique généralement impartiale, quand elle est parfaitement éclairée ; il a introduit dans l’histoire de Grégoire VII des élémens d’information jusqu’alors négligés. Le traducteur français a souvent détourné la pensée de Voigt de sa portée primitive pour en faire un livre agréable à certains esprits prévenus, et, qui pis est, il a plus d’une fois, dans ses annotations, péché par ignorance de l’histoire du temps. M. Guizot, en 1828, a donné magistralement, suivant son habitude, la note véritable du caractère historique de Grégoire VII ; il a tracé le sillon, la grande culture est venue après lui. Nul homme éclairé ne saurait confondre à cette heure le Régistrum de Grégoire VII avec le Syllabus de 1864. « Nous sommes accoutumés, disait M. Guizot, à nous représenter Grégoire VII comme un homme qui a voulu rendre toutes choses immobiles, comme un adversaire du développement intellectuel, du progrès social, — comme un homme qui prétendait retenir le monde dans un système stationnaire ou rétrograde. Rien n’est moins vrai : Grégoire VII était un réformateur par la voie du despotisme, comme Charlemagne et Pierre le Grand. Il a été à peu près dans l’ordre ecclésiastique ce que Charlemagne en France et Pierre le Grand en Russie ont été dans l’ordre civil ; il a voulu réformer l’église, et par l’église la société civile, y introduire plus de moralité, plus de justice, plus de règle ; il a voulu le faire par le saint-siège et à son