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aux émotions et aux paniques comme toutes les armées improvisées, mais aussi très prompte à se rallier et à se reconstituer à l’abri des forteresses qui lui servaient de refuge, elle se serait rapidement réorganisée. Même après Saint-Quentin, qui était sa dernière et sa plus cruelle épreuve, elle n’avait eu besoin que de quelques jours pour se rétablir, et peu après l’armistice le général en chef passant une revue sur les glacis d’Arras était frappé de l’air martial de ses jeunes soldats.

L’armée du nord existait toujours sans doute, elle avait eu la bonne fortune de ne pas disparaître dans une catastrophe, elle se serait battue encore, s’il l’avait fallu. En réalité, quel élément de décision portait-elle dans ce cruel débat de la paix ou de la guerre qui s’agitait en ce moment pour la France ? Elle ne pouvait plus rien. Le général Faidherbe lui-même ne se faisait point illusion. On lui adressait de Bordeaux cette terrible question : « Peut-on continuer la guerre ? » Faidherbe répondait avec chagrin, mais sans hésiter, par le rigoureux exposé de la situation. — Aussitôt que les hostilités se rouvriraient, l’armée du nord ne pourrait plus tenir la campagne. Les Prussiens, maîtres de Paris, disposant de toutes leurs forces, enverraient nécessairement deux armées, suffisantes, l’une contre les places maritimes, Boulogne, Calais, Gravelines, Dunkerque, l’autre contre les places orientales des départemens du nord, Arras, Douai, Cambrai, Lille, Valenciennes. Tout allait leur être facile dans un pays riche, dans des plaines couvertes de voies ferrées et de routes qui leur permettraient de se transporter en un jour, avec leur matériel, d’une forteresse à l’autre. Les places maritimes protégées par les inondations et par le voisinage de la mer pourraient tenir six semaines ; les autres tiendraient sans doute un mois, à moins que la violence des bombardemens ne vînt hâter la reddition. Avec une grande constance et la meilleure volonté dans la défense, les Prussiens pourraient être obligés de mettre deux mois et demi à faire la conquête de toute la contrée, et ce qu’il y avait d’étrange, ce qui restait un trait caractéristique, c’est que cette fois l’ennemi venait sur Lille et Valenciennes, non plus par la Belgique, mais par l’intérieur de la France. — Ainsi de toutes parts, au nord comme au sud, à l’est comme à l’ouest, éclatait la nécessité du fatal et inexorable dénoûment, d’une paix poignante et ruineuse, expiation d’une guerre commencée par l’imprévoyance, continuée par l’agitation stérile dans la confusion.


CHARLES DE MAZADE.