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d’ouverture, et que le tablier serait à 40 mètres au-dessus des plus hautes mers. Si l’on ajoute que le pont doit avoir deux voies de chemin de fer, deux autres pour les voitures, et en outre une large passerelle pour les piétons, c’est-à-dire en tout une largeur de 26 mètres, on aura les données principales de cette belle entreprise, qui s’achève en ce moment. Il eût été plus simple peut-être et non point plus coûteux de creuser un tunnel en dessous de la rivière ; mais un tunnel de fer serait promptement corrodé par l’eau de mer ; il eût donc fallu le construire en maçonnerie. Or il semble que les Américains aient une répugnance instinctive pour la maçonnerie, qui ne se plie pas, comme le métal, aux besoins les plus divers.

Il est assez étrange de voir aux États-Unis, sur cette terre classique de la liberté, le gouvernement prendre les mesures les plus rigoureuses en faveur de la navigation fluviale et contre les intérêts des compagnies de chemins de fer. Le succès toujours croissant des voies de fer ne fait pas oublier les voies navigables. Il vient d’être dit quelles conditions onéreuses l’état de New-York avait imposées aux entrepreneurs du pont de la Rivière de l’Est ; sur le Mississipi, le Missouri, l’Ohio, les précautions ne sont pas moindres. Le congrès lui-même, bien qu’il laisse presque toujours aux législatures locales le droit de concéder les canaux et les chemins de fer, le congrès décide quel sera le débouché des ponts et l’élévation du tablier au-dessus des eaux. Après s’être contentés dans les premiers temps d’une travée centrale de 90 mètres d’ouverture, les ingénieurs du gouvernement exigent aujourd’hui que la largeur de cette travée soit portée à 120 mètres. Le ministre de la guerre, dans les attributions de qui se trouve le contrôle des travaux publics, présente et fait adopter un projet de loi qui protège les rivières contre les empiétemens des compagnies. Quelle est la raison de cette sollicitude ? Ce n’est pas seulement que les cours d’eau sont l’instrument par excellence des transports économiques, c’est aussi une préoccupation patriotique. De grands fleuves sont un élément essentiel de la défense du pays ; On veut qu’au jour du danger la flotte militaire se puisse rendre sans entraves partout où le territoire national serait menacé d’une invasion.


IV

C’est une remarque déjà vieille que les travaux d’édilité révèlent bien exactement les habitudes et le caractère de chaque nation. Sous ce rapport, la France n’a guère rien à envier à personne ; Les rues de nos grandes villes sont tirées au cordeau, bien pavées,