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de long, reste à plus de 1,200 mètres au-clessus du niveau de l’océan, qui traverse sur ce parcours cinq chaînes de montagnes, et se déroule dans une région stérile dont les seuls habitans, à l’époque de la construction, étaient des Indiens hostiles aux hommes blancs. Il existe 200 stations entre Omaha et Sacramento. Sauf une douzaine de villages, tels que Cheyenne, Ogden, Elcho, ce sont des lieux déserts. A vrai dire, l’avenir commercial de cette grande entreprise n’est pas brillant. Les voyageurs ne sont pas nombreux ; ce qui le démontre, c’est qu’il n’y a par jour qu’un seul train en chaque sens. Compte-t-on sur les marchandises ? Le trafic de transit n’en peut être bien important, car il est difficile de lutter contre les bateaux à vapeur de la voie de Panama, qui font les transports à bien meilleur marché. Cette ligne est une preuve nouvelle de l’axiome mis en évidence depuis longtemps que les chemins de fer ne prospèrent que par le trafic local des stations intermédiaires ; or ici ce trafic local est presque nul. De plus le Central Pacific est menacé par la concurrence de plusieurs autres lignes parallèles qui traversent des contrées plus propres à la colonisation, et qui pourront être établies dans des conditions de pentes et de courbes moins onéreuses pour l’exploitation. Quant à la vente des terrains que les compagnies concessionnaires se sont fait attribuer aux deux côtés de la voie, il n’y faut guère compter, car ces terrains sont presque partout impropres à la culture. C’est donc surtout sous le rapport politique et militaire que le premier chemin de fer du Pacifique doit être envisagé. À ce point de vue, c’est un grand succès qui justifie les sacrifices que le gouvernement de l’Union s’est imposés en sa faveur.


III

Les principes de stricte économie que les Américains ont introduits dès le début dans leurs travaux de chemins de fer excluaient tous les grands ouvrages d’art ; mais, si l’on peut se dispenser de construire des gares monumentales, si l’on peut supprimer les tunnels et les viaducs en exagérant les pentes et les courbes, du moins il n’y a pas d’artifice qui permette de faire passer les rails par-dessus des cours d’eau de 300 à 400 mètres de large. Il fallut donc d’abord arrêter la course des locomotives aux rives des principaux fleuves et combler ces lacunes au moyen de bacs à vapeur. Bien qu’on se soit mis à construire des ponts sur les grandes rivières depuis vingt ans, il reste encore un grand nombre de ces ferry-boats. Ainsi d’Albany à New-York, sur un parcours de 240 kilomètres, il n’existe pas un seul pont : il y a huit bacs, un par 30 kilomètres environ. A New-York même, plus de vingt lignes différentes de ferry-boats relient la capitale aux rives opposées de l’Hudson