Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surplus, les ingénieurs de ce pays n’ont pas la prétention de faire du premier coup un travail définitif ; ils visent à l’économie, et se promettent d’améliorer plus tard leur ouvrage quand l’abondance des recettes leur en donnera le moyen. Aussi remplacent-ils les grands remblais et les viaducs en maçonnerie par de simples estacades en charpente qui ne dureront que quelques saisons. Il n’y a de clôture que par exception, par exemple à la traversée des prairies où séjournent de nombreux troupeaux ; encore les haies sont-elles alors établies souvent par les propriétaires riverains. Un écriteau planté sur le bord des chemins transversaux recommande la prudence aux individus qui savent lire. La voie passe-t-elle dans les rues d’une ville, le mécanicien se contente de ralentir la marche de sa locomotive et de sonner la cloche d’une façon continue. Quant aux simples bestiaux qui, mal surveillés, s’oublient entre les rails, la locomotive les balaie au moyen d’un fort éperon en fer qu’elle porte à l’avant. Cet appendice, dont les machines européennes ne possèdent qu’un diminutif, s’appelle d’un nom caractéristique : c’est le cow-catcher le saisisseur de vaches. Par humanité toutefois, ou peut-être plutôt par économie, le mécanicien s’arrête lorsqu’il aperçoit quelque animal fourvoyé devant lui. Les voyageurs ont l’habitude d’incidens de ce genre et ne s’en inquiètent pas plus qu’il ne convient.

Dans les gares, même liberté d’allures, même absence de mesures préventives. Le public entre et sort sans rencontrer ni porte fermée ni barrière. Tant pis pour les ignorans qui se trompent de wagon ou pour les maladroits qui se laissent glisser sous les roues. Avez-vous des bagages, il n’est question ni de pesage ni de bulletin d’enregistrement ; on vous remet simplement un numéro d’ordre, comme en France quand vous déposez votre canne à l’entrée d’un musée ou d’une salle de spectacle. Voulez-vous retenir votre place d’avance, vous trouvez en ville, auprès de l’hôtel où vous logez, un bureau où l’on vend des billets de chemins de fer. En route, le conducteur circule d’un bout à l’autre du train, vérifie si vous êtes en règle et vous retire votre billet avant que vous ne descendiez de wagon ; tout s’opère sans bruit, sans dérangement, avec le moins de gêne possible. Les accidens sont plus fréquens que chez nous, c’est incontestable. Ainsi en 1869, dans le seul état de New-York, pour une longueur exploitée d’environ 7,000 kilomètres, on a compté 219 tués et 273 blessés. La moitié des victimes sont des voyageurs ou des employés des compagnies, les autres sont des personnes étrangères qui n’ont pas su se garer au passage des trains. Il est juste d’ajouter cependant qu’au dire de certains Américains les chemins de fer de ce pays offriraient plus de sécurité que ceux de l’Angleterre. M. Charles Adams,