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Les premiers qui s’avancèrent à l’ouest de Saint-Louis ne virent qu’une plaine monotone, avec un horizon sans limites, des eaux saumâtres et un sol nu. Ce fut pis encore lorsque les pionniers s’engagèrent dans le massif montagneux qui s’étend au-delà de cette plaine ; il semblait que ce désert ne dût être jamais qu’un lieu de passage entre le Mississipi et la Californie. Loin de là, on ne fut pas longtemps sans y découvrir des trésors inattendus : les roches éruptives qui sillonnent ces grands soulèvemens contiennent en abondance l’or et l’argent, sans doute aussi d’autres métaux non moins précieux, mais dans les premières années d’engouement on n’attachait de prix qu’aux terrains aurifères. Cependant les aventuriers partis à la recherche de l’or ne furent pas seuls à peupler cette région désolée. Expulsés du territoire de l’Union américaine, les mormons découvrirent en 1854 une oasis de terrains fertiles qu’arrosent d’abondantes eaux douces ; ils y fondèrent une singulière colonie où l’industrie prospère non moins que l’agriculture, car on y compte maintenant da nombreuses manufactures.

Sur cette superficie d’une immense étendue travaille une population de 39 millions d’habitans, d’après le recensement de 1870, population bien disparate par ses origines, fondue néanmoins par l’influence du climat et de la vie commune en une nation homogène. C’est une erreur trop habituelle de croire que les émigrans de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne y ont imposé leurs mœurs et leur caractère d’une façon exclusive. La France se rattache à cette jeune république par des souvenirs plus lointains que ceux de la guerre de l’indépendance. Il y a deux siècles, au plus beau moment du règne de Louis XIV, nos compatriotes, établis au Canada, se livraient à de périlleux voyages d’exploration vers le sud, tandis que les Anglais et les Hollandais n’osaient encore perdre de vue les rivages de l’Atlantique. En 1673, le père Marquette, l’un des jésuites des missions canadiennes, explore le Wisconsin. En 1682, Cavelier de la Salle descend le Mississipi jusqu’au golfe du Mexique et prend possession de cette belle contrée au nom de la France avec les formes alors usitées. Toute cette région se peupla de noms français que l’usage a conservés intacts. Plusieurs villes portent le nom du père Marquette ; Prairie du Chien, Fond du Lac, du Luth, Saint-Clair, figurent encore sur les cartes de l’Amérique. Les exploits de Cavelier de la Salle sont restés légendaires sur les rives du Mississipi. A New-York, à Chicago, dans le Texas et l’Illinois, on retrouve à chaque instant le souvenir populaire de ce courageux explorateur, qui fut le premier à reconnaître le cours du grand fleuve. Si les Américains conservent pieusement ces traditions, c’est, — n’en doutons pas, — parce qu’ils ont encore dans le tempérament quelque