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mettait aussitôt en mesure de ramener vers le nord une grande partie de son armée. Le VIIIe corps prussien, qui était à Bolbec, devait notamment regagner la Somme. Le chemin de fer de Rouen-Amiens, qu’on rétablissait au plus vite, était un moyen utile et rapide pour le transport des troupes. De Paris même, de l’armée du prince de Saxe, on envoyait des détachemens sur le nord, si bien que le 21 décembre les Allemands commençaient à se retrouver en force autour d’Amiens.

Ce qu’il y a d’assez étrange, c’est que le commandant du VIIIe corps prussien, le général de Gœben, a entrepris de prouver dans une relation récente que la marche du général Faidherbe n’avait eu nullement pour effet de dégager Le Havre, qu’on avait tout simplement renoncé à prendre ce port de commerce après avoir reconnu que l’opération ferait perdre trop de temps et nécessiterait trop de forces. Assurément si on avait eu le temps, on n’aurait pas manqué de s’assurer la possession du Havre ; si le mouvement du général Faidherbe ne s’était pas dessiné au nord, on aurait eu ce temps nécessaire aussi bien que les moyens d’attaque, et le général de Gœben n’aurait pas été obligé, comme il l’avoue lui-même, de quitter Bolbec dès le 11 pour revenir sur l’armée française à marches forcées. Le général Faidherbe avait évidemment réussi dans ses calculs puisqu’il avait attiré une bonne partie de l’armée de Manteuffel ; seulement c’était lui maintenant qui allait avoir affaire à des forces supérieures, et il ne reculait pas devant le choc qui devait en résulter inévitablement, il s’y préparait au contraire en tâchant de suppléer à tout ce qui lui manquait par le choix de bonnes positions de combat.

Par le fait, à la date du 21, les deux armées se trouvaient en présence. Les Allemands avaient leurs divisions du VIIIe corps réparties à l’est et à l’ouest d’Amiens, avec une brigade de réserve dans la ville même. D’heure en heure, de nouveaux bataillons expédiés de Rouen venaient grossir l’armée de Manteuffel, tandis qu’une brigade de cavalerie de la garde, aux ordres du prince Albrecht, arrivait de Paris et qu’une autre brigade, détachée de Compiègne, s’avançait vers la Somme. L’armée française, quant à elle, était venue s’établir en avant d’Amiens, dans la vallée où coule la petite rivière de l’Hallue, descendant du nord vers la Somme, et où s’échelonnent de nombreux villages, Contay, Bavelincourt, Frechencourt, Pont-Noyelles, Querrieux, Bussy, Daours. Sur la rive gauche de l’Hallue s’élèvent des coteaux qui sont la force de la position. Faidherbe occupait la vallée par ses postes avancés et les hauteurs, où il s’était habilement retranché. A la gauche de l’armée, à Daours, la division Moulac couvrait la route de Corbie ; à la droite, à Contay, la division Derroja faisait face aux mouvemens qui