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« Au premier plan, on peut mettre les gens qui craignent de voir leurs enfans compromettre leur dignité aristocratique en fréquentant des camarades dont les parens sont tailleurs, cordonniers, boutiquiers. Ceux qui se placent sur ce terrain ne sont pas en état de nous répondre, sr nous leur demandons un motif raisonnable de cette manière de voir : ils n’ont à leur service que des phrases qui ont fait leur temps ; eux-mêmes ne remarquent pas qu’en nageant contre un courant très fort, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de rester stationnaires, et qu’ils préparent à leurs enfans le même labeur absolument stérile. Ils ne veulent pas reconnaître que la vie réel le leur donne, à chaque pas un démenti, que l’égalité devant la loi, l’obligation universelle du service, militaire, l’abolition des privilèges de castes, sont des faits qui ne sont pas destinés à s’amoindrir, mais qui vont se développer et s’étendre chaque jour davantage… Pour avoir de l’influence sur le siècle, il faut vivre avec le siècle et gagner sa confiance

« Pour nous, nous déclarons sincèrement qu’à notre avis les classes inférieures auraient plus de raison que les classes supérieures de redouter les atteintes portées à la moralité de leurs enfans par la fréquentation des établissemens ouverts à toutes les classes de la société. Les enfans pauvres y rencontrent des enfans riches qui sont venues en voiture, des enfans habillées avec recherche et prétention, accompagnées de laquais portant leurs livres et leurs cahiers ; leurs camarades plus riches leur parlent des bals, des spectacles, auxquels elles ont assisté la veille ; elles leur apparaissent comme la vivante personnification de toutes ces joies de la terre qui sont autant de tentations pour le pauvre… On pourrait entrevoir là plus de germes de corruption morale que dans un mot grossier ou dans un geste gauche d’une fille de cocher ou de concierge… Mais nous tenons fermement à cette croyance, que l’école doit être une préparation à la vie, à cette vie réelle qui dans ce siècle nous conduit, à pas de géant, à l’abaissement de toutes les barrières élevées par les préjugés. Or la destruction de ces barrières doit commencer précisément à l’école, et nous répéterons le mot célèbre de Leibniz : Renouvelez l’éducation vous renouvellerez la face de la terre.

« L’enfant riche et l’enfant pauvre, la paysanne et la comtesse, sont assises sur les mêmes bancs ; on les apprécie, on les estime d’après une mesure unique, qui est un certain idéal de culture intellectuelle et morale. C’est précisément à l’école que l’enfant s’accoutume à se placer à ce point de vue pour juger son prochain : ce point de vue, elle le portera dans la vie réelle : Ici, l’enfant des classas inférieures, affranchie de toutes les humiliations qui pèsent sur elle dans le monde, s’habitue à prendre conscience de sa dignité personnelle, qui aurait peine à se révéler à elle dans la maison paternelle, dans la misère, la dépendance et autres conditions défavorables. L’enfant riche, a beau s’entendre dire à