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vœux bien au-delà du possible et du désirable[1]. Il y eut de jeunes extravagantes qui, dans leur passion exagérée pour la science libre et l’indépendance de la femme, quittèrent la maison paternelle, se mirent en tête de vivre à leurs risques et dépens, formèrent des sociétés d’étudiantes, affectèrent un costume bizarre qui était la négation de leur sexe : cheveux courts, lunettes bleues, casquette ou chapeau d’étudiant. Les timorés ne manquaient pas de prononcer le grand mot de nihilisme, qui remplace en Russie celui de matérialisme dans les aménités de la polémique. La police, qui jusqu’alors ne savait comment mettre les poucettes à l’insaisissable doctrine, se trouva plus à l’aise quand le nihilisme prit un corps et un costume. On commença la chasse aux cheveux courts et aux lunettes bleues. Plus d’une honnête personne, à la fois très myope et très orthodoxe, fut victime de l’effet produit sur la police par ces instrumens d’optique. A la fin, le mouvement de propagation des gymnases féminins, le mouvement des esprits sérieux qui cherchaient l’émancipation de la femme ailleurs que dans de vaines théories, encouragé par le gouvernement et soutenu par l’opinion, prit un tel éclat et une telle ampleur que toutes les discordances et les excentricités furent comme emportées et englouties dans le courant. La jeune Russie avait jeté sa gourme ; sur ce terrain encore, la nation nouvelle s’avançait de ce pas à la fois prudent et audacieux, inexpérimenté et irrésistible, qu’Antakolski à si bien rendu dans son beau groupe du Premier Pas.


II

Il nous reste à donner une idée de l’organisation des gymnases de filles. On a vu qu’un comité d’enseignement était installé au sein du département de l’impératrice Marie. Le prince Alexandre-Pierre d’Oldenbourg, mari d’une nièce de l’empereur, porte le titre de grand administrateur. Il montre le plus grand zèle pour ces établissemens et ne manque à aucune de leurs solennités scolaires ; il n’est pas rare de le rencontrer dans tel ou tel gymnase, occupé de détails d’organisation et d’enseignement. Dernièrement, il publiait une circulaire où il se plaignait que beaucoup de ses 9 écolières ne connussent pas la métrique des vers qu’elles récitaient. A la tête de chaque gymnase se trouvent une inspectrice (nadziratelnitza) et un personnage qui prend généralement le nom de

  1. Voyez, dans la Revue du Ier octobre 1872, l’étude de M. H. Baudrillart sur l’Agitation pour l’émancipation des femmes.