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temple. Les gymnases féminins au contraire étaient essentiellement fondés sur le principe de l’externat. Ces établissemens se chargent de l’instruction des enfans ; pour leur éducation, ils réclament la collaboration de la famille. Ainsi dans cette Russie où, jusqu’à Pierre le Grand, les femmes étaient condamnées à la réclusion du terem, on verra, comme en Allemagne, les jeunes filles coudoyer la foule et fréquenter les écoles publiques. Un second principe non moins essentiel des gymnases féminins, c’est qu’ils sont ouverts aux jeunes filles de toute condition et de toute religion. Dans un pays où les préjugés de classe ne sont pas encore éteints, cette nouveauté ne pouvait manquer de faire scandale ; comment le conseiller privé actuel se résoudra-t-il à laisser son enfant fréquenter une école où elle rencontrera des jeunes filles dont les pères n’ont même pas obtenu le huitième rang du tchin, qui confère la noblesse héréditaire ? Le tchinovnik même de dixième ou de douzième rang sera-t-il flatté de voir son rejeton fréquenter des filles de marchands et d’artisans ? Parmi les négocians, il n’y a pas moins de distinctions : on est marchand de première ghilde et marchand de troisième ghilde, et l’on aime à « garder son rang. » Sans parler de ces petites misères de la vanité, ne pouvait-on pas craindre que les jeunes filles ne fissent à l’école de mauvaises fréquentations ? Les prêtres des différens cultes ne devaient-ils pas alarmer les parens de cette promiscuité légale des religions ? Enfin jusqu’alors on avait enseigné dans les établissemens d’éducation ce qu’on regardait comme indispensable pour tenir un salon ou une maison. Les nouveaux maîtres étaient plus ambitieux ; ils proclamaient qu’une femme n’est pas nécessairement et exclusivement épouse, mère, maîtresse de maison. Avant de la spécialiser pour telle ou telle destination, il fallait s’appliquer à donner tout le développement possible à toutes ses facultés intellectuelles et morales.

On se rappelle quelle tempête a soulevée chez nous, il y a quelque cinq ou six ans, une tentative bien plus modeste pour faire participer les jeunes filles à quelques-unes des connaissances que l’enseignement secondaire assure à leurs frères. Les choses se sont passées plus paisiblement en Russie : pas de polémique, pas de brochures épiscopales ; le clergé s’est tenu entièrement au second plan et n’est point parti en guerre pour « défendre et venger la femme orthodoxe et russe. » On a procédé plutôt par insinuation : on a essayé d’exploiter les répugnances, les scrupules de conscience, les faiblesses et la vanité des parens ; surtout on a profité des fautes et des folies commises par des partisans exaltés du mouvement. Beaucoup de ces enfans perdus allaient dans leurs