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LA MORT D’ALI PACHA.

faire une juste idée de la mesure et de la durée de leurs succès, il faut examiner comment et sur qui ces succès ont été obtenus. Aux premiers rangs de l’insurrection figurent d’abord les insulaires d’Hydra, de Spezzia et d’Ipsara. Les habitans de ces trois rochers, qui fournissaient annuellement une partie des équipages de la flotte turque, ont tourné contre la Porte les forces qu’ils mettaient autrefois à son service. Agissant dans une mer semée de détroits, ils ont pu, par le nombre de leurs bâtimens, intercepter tous les passages, fermer les communications et bientôt, isolant les châteaux du Péloponèse, les faire tomber les uns après les autres aux mains des Moréotes. Ceux-ci, favorisés par l’occupation que donnait aux Turcs Ali-Pacha, ont pu s’emparer de Corinthe, de Tripolitza, remuer l’Attique, rejeter les Turcs dans la citadelle d’Athènes, et lier ces mouvemens à ceux des Grecs du Pinde et de la Macédoine ; mais tout a bien changé depuis que la chute d’Ali-Pacha laisse au sultan la disposition de ses troupes et que la flotte turque est sortie des Dardanelles. Les Grecs ne paraissent plus compter sur la Russie ; ils se plaignent des Anglais et quelques-uns commencent à parler du désir qu’ils auraient de porter à sa majesté leur hommage incertain. »

À Cos, où la Médée mouillait le 16 mai ; à Rhodes, où elle touchait le 18, le chevalier de Rigny n’entrevoyait aucun danger pour la domination du sultan. « La population grecque, disait-il, y balance à peine la population turque. » À Chypre, des désordres graves avaient éclaté, le mousselim s’était retiré à Nicosie, et les troupes d’Abdullah, pacha d’Acre, qui formaient seules la garnison de l’île, y mettaient tout à feu et à sang. Le 19 avril étaient arrivés à Larnaca 1,500 hommes expédiés d’Alexandrie par le pacha d’Égypte : le commandant de ce nouveau corps, Salik-Bey, avait jugé prudent de se débarrasser à tout prix des mutins ; il leur avait fait un pont d’or et les avait renvoyés en Syrie sur les bâtimens mêmes qui l’avaient amené, au risque de les y voir prendre parti pour le pacha d’Acre, en ce moment rebelle à la Porte et contre lequel marchaient les pachas d’Adana, d’Alep et de Damas.

La puissance de Méhémet-Ali avait considérablement grandi depuis le jour où le commandant de l’Aigrette lui rendait visite au mois d’août 1817. Sentant la nécessité d’avoir des troupes sur lesquelles il pût compter quand il plairait à la Porte de le déclarer rebelle à son tour, le pacha d’Égypte, après avoir composé un corps de mamelouks dans la Haute —Égypte, cherchait à constituer de nouveaux bataillons avec les noirs qu’il tirait du Darfour et du Dongola. Dans ce corps, dont il avait confié l’organisation à un officier français, le colonel Sève, il venait d’introduire des fellahs. C’est ainsi qu’il avait pu envoyer 1,500 soldats à Chypre, 5,000 hommes